les perfectionnements de la machine à vapeur, du métier à tisser, le développement prodigieux des machines-outils, l’invention de turbines qui ont centuplé les forces hydrauliques utilisables, l’emploi industriel commençant de l’électricité dynamique, tout cela n’aurait pas besoin seulement d’être décrit dans sa nouveauté technique : il faudrait étudier ce qui, de ces inventions nouvelles a réellement passé dans l’outillage national, et quels déplacements de main-d’œuvre, quels changements dans la vie quotidienne de l’atelier, dans la rémunération ouvrière, dans la production s’en sont effectivement suivis. Le dénombrement des chevaux-vapeurs utilisés dans l’industrie française, tel que le donne la Statistique de la France, n’y suffit pas. Les journaux spéciaux d’économie politique n’ont pas serré de plus près, non plus, ces réalités sociales de première importance. Il y faudrait des monographies de fabriques, et des monographies de branches d’industrie, qui supposeraient l’exploration des archives privées au moins des principales usines, le dépouillement exact de toute leur comptabilité. Quelques Sociétés industrielles, comme celle de Lorraine et celle de Mulhouse, ont publié dans leurs Bulletins de brefs exposés d’histoire usinière régionale. Il n’est pas encore arrivé que des industriels français aient toléré des enquêtes aussi approfondies que celles entreprises en Allemagne pour le compte de Krupp ou de Siemens et Halske à diverses reprises. C’est en cour d’assises que Jaurès a dû retracer, un jour, l’histoire des Casimir-Périer. De même, nos statistiques des salaires, nos statistiques du prix des denrées, entreprises avec un soin si méticuleux et avec une méthode toujours si rigoureusement définie par notre Office du Travail, auraient besoin d’être rétrospectivement complétées, industrie par industrie, ville par ville ; et des travaux comme ceux de Simiand, sur le Salaire des ouvriers des mines de charbon en France au XIXe siècle, auraient besoin de se multiplier.
Ce qui frappe, devant l’abondance des monographies municipales dont nous disposons, c’est l’absence de la préoccupation sociale profonde. Il n’importerait pas que ce fussent surtout — ce qui est le cas réel — des monographies de municipalités très petites. Il est évidemment regrettable que Pontoise, Alençon, Gray et cent municipalités de pareille importance aient leur histoire, quand Marseille et Lyon n’ont pas la leur. Mais en amoncelant beaucoup d’histoires de communes très petites, on arriverait à reconstituer justement ce qui a été la vie quotidienne de la masse de la nation. Or, ce qui a prédominé chez les historiens même les plus réputés, c’est le souci archéologique. Les changements du tracé des rues, l’histoire des abbayes, celles des grandes cérémonies publiques, occupent toute l’attention dans la monographie étendue qu’un historien de la valeur de M. Camille Jullian a consacrée à la ville de Bordeaux. Quelle a été la répercussion des nouveaux traités de commerce libre-échangistes de 1860 sur la vie économique des grandes villes ; comment a été appliqué le décret de Persigny en 1852 qui autorisait les communes à se frapper elles-mêmes de centimes additionnels, comment ce self-government, pourtant minime, a été entravé sans cesse par des préfets à poigne ; comment se sont fondés ou parachevés les services publics municipaux, à quelles conditions pour les ouvriers, avec quels tarifs de salaires, voilà des ordres de faits dont aucun historien n’a entrepris l’exposé. Il serait possible, avec les publications des divers services publics d’une municipalité aussi complexe que Paris ou Lyon de reconstituer des fragments importants de la vie sociale de ces grandes villes. Pour les autres, il faut le dépouillement des archives locales ; et l’éducation de nos historiens régionaux n’est pas assez orientée