Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/112

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le procureur de Limoges constate que si le prolétariat limousin ne manifeste plus ouvertement ses opinions, il demeure fidèle à ses idées. En décembre 1852, pour le vote de l’Empire, le nombre des abstentions augmente considérablement. Et l’on comprend dans ce nombre 1500 à 2000 ouvriers porcelainiers. « Ce sont les plus habiles, dit le procureur, les peintres, les doreurs, ceux qu’une demi-instruction a initiés à ces doctrines qu’ils partagent encore » (BB 30/378)

Le procureur du ressort de Paris, lui, surveille surtout l’Aube, la Maine et l’Yonne, les bonnetiers de Troyes et de Romilly, les ouvriers de la laine à Reims, les ouvriers des chemins de fer à Épernay, les vignerons des environs d’Auxerre, Il se félicite bien sans doute de « la sorte de trêve imposée aux passions ennemies par l’impossibilité de distraire le pays du spectacle des grandes choses que l’Empire a faites dans la guerre et dans la paix ». Mais, tout comme les autres, il redoute le regain de force que telle ou telle circonstance peut donner à des opinions qui secrètement persistent. Quelques centres surtout l’inquiètent ; et il n’est guère de rapport, par exemple, où il ne revienne sur le mauvais esprit de cette commune révolutionnaire qu’est Romilly.

Le procureur de Lyon (BB 30/379) doit expliquer dans son ressort bien des événements déplaisants, quand ce ne serait que l’élection d’Hénon. Cette élection « colportée silencieusement, sans réunions préparatoires, sans circulaires, sans publicité de journaux » atteste, pense-t-il, « combien les sociétés secrètes sont encore vivantes et bien organisées à Lyon. Les sociétés n’ont point de journaux ; leurs lieux de réunions connus ont été fermés ; les associations alimentaires ont été dissoutes : l’état de siège et la création d’une police nouvelle rendent leur rapprochement très difficile ; les plus importants des républicains ont été arrêtés avant le 2 Décembre ; une terreur salutaire devrait retenir les autres ; et cependant voila une candidature qui sans appui ostensible, à travers des difficultés de tous les genres, se produit secrètement, et subitement, arrive au succès, malgré tous les efforts de l’administration w. Rapport du 8 mars 52). Le procureur général ne peut y croire ! Il semble bien d’après ses rapports mêmes que ce procureur était plus intelligent que beaucoup d’autres ; mais l’intelligence d’un procureur ne peut aller jusqu’à penser que la répression est impuissante contre les idées. Plus tard en décembre, il estime que la Croix-Rousse est en train de se rallier à l’Empire, mais constate que le mouvement est plus long à Lyon qu’à Saint-Étienne. Quand son successeur arrive de Bordeaux, au début de 1853, celui-là est stupéfait de la persistance des idées républicaines et socialistes : « Il existe à Lyon, dit-il, une espèce de croyance, une religion politique dont les ateliers sont les catacombes », et il demande, selon la règle, que de grands événements extérieurs viennent distraire l’opinion. Jusqu’en 1856, c’est toujours la même note.

Même note encore dans les rapports du procureur de Riom, en ce qui