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« instituteur et pair de France ». On le condamna à une légère amende. Il n’en continua que plus ardemment sa propagande.

Mais il sut éviter dorénavant les foudres papales, en se débarrassant du bagage d’idées dangereuses que Lamennais avait lancées. L’encyclique de Pie VIII avait condamné la liberté de conscience, la liberté politique, la liberté de la presse et la liberté d’association. Montalembert restreignit son programme à la liberté d’enseignement, que le pape s’était bien gardé de condamner, puisqu’elle devait uniquement profiter aux congrégations, et à la liberté d’association, sur laquelle le pape ferma les yeux, comptant sur le gouvernement de Louis-Philippe pour la refuser aux associations subversives, c’est-à-dire républicaines et ouvrières, tout en tolérant les autres, c’est-à-dire les congrégations. De fait, quelques années plus tard, Lacordaire endossait le froc et reconstituait ouvertement l’ordre des dominicains.

L’Église a toujours excellé dans ces compromis. Elle n’est rigide qu’en théorie, et elle a des citations de l’évangile pour les cas les plus opposés. Le « rendez à César ce qui appartient à César » lui permet de s’incliner quand il le faut devant le pouvoir temporel et d’éviter les ruptures que sa révolte ouverte provoquerait. Par sa théorie que tout pouvoir vient de Dieu, non seulement elle peut justifier une telle attitude, mais encore elle entend que les représentants de Dieu, c’est-à-dire les prêtres, sont au-dessus même des rois et des gouvernements, et réserve ainsi tout ses droits pour des moments plus favorables. Montalembert était un grand politique, il le prouva par la suite en mariant Thiers et le prince Napoléon pour en extraire la loi Falloux. Il comprit à demi-mot ; il ne servit plus la liberté que dans la mesure où elle était favorable aux empiétements de l’Église et alla quand il le fallut jusqu’à la République, comme de nos jours son pâle successeur, M. de Mun, devait tenter de constituer un parti de réformes ouvrières.

Tandis que les cénacles littéraires et catholiques passionnaient l’opinion et prenaient leur direction naturelle dans le vaste tourbillon de liberté qui avait balayé la monarchie des Bourbons, les saint-simoniens organisaient leur vie en commun, ouvraient des salles de conférences, développaient leur propagande. Nous donnerons un chapitre à leur organisation et à leur propagande ; notons seulement ici qu’ils avaient déjà fait suffisamment impression au dehors, puisque dans les derniers mois de 1830, l’acteur Lepeintre jeune chantait sur eux, et sur les romantiques, dans un vaudeville, le couplet que voici, où la forme, dans sa bassesse, est appropriée à l’idée :


Oui, les farceurs saint-simoniques
Sont bafoués de toutes parts ;
C’est comme feu les romantiques…
Chaque époque a donc ses jobards !
Le ciel en pitié les regarde ;
Mais quel moyen de les sauver ?
Quand le bon sens descend la garde,
On ne peut plus le relever.