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de détails d’application. Car si elle refusait de se subordonner au clergé, elle n’en voulait pas moins utiliser celui-ci pour entretenir dans les foules ouvrières des idées de respect et de soumission qui la préservassent de tout danger de révolution. Les congrégations eurent donc une grande part à l’enseignement primaire, et l’intervention du curé et de la religion dans l’école fut consacrée officiellement par la loi.

La partie était donc belle pour les libéraux du catholicisme ultramontain. Dès le mois d’août 1830, Lamennais et ses amis fondaient le journal l’Avenir, où l’on affirmait non seulement la liberté, qui peut se réglementer, mais « la licence de l’école comme celle de la presse ». La devise de ce journal de combat était : « Dieu et liberté ! » Tournant contre le libéralisme ses propres armes comme, dans ses précédents ouvrages, il avait fait de la raison, Lamennais entreprit de « catholiciser » la liberté, et, pour que cette liberté du catholicisme fut complète, il demanda la séparation de l’Église et de l’État.

Désireux de mener le combat sur toute la ligne et avec tous les moyens à leur disposition, les rédacteurs de l’Avenir fondèrent en même temps une Agence générale pour la défense de la liberté religieuse. Cette agence avait pour objet de dénoncer les fauteurs d’irréligion et de les poursuivre en justice lorsqu’ils s’exposaient aux coups d’une loi qui avait proclamé le catholicisme « religion de la majorité des Français ». Elle donna ainsi la mesure de son véritable sentiment sur la liberté ; mais cette attitude lui recruta nombre d’adhérents dans la partie la moins éclairée et la plus fanatique du parti clérical. Elle organisa en outre des souscriptions pour les écoles congréganistes et prit l’initiative d’un vaste pétitionnement en faveur de la liberté d’enseignement. Elle ouvrit enfin des écoles sans autorisation, et ses directeurs furent de ce chef poursuivis en justice. Le jury, épris de logique, les acquitta.

Une telle attitude de bataille, soutenue par d’ardentes convictions et fortifiée par le talent d’orateurs et d’écrivains tels que Montalembert, Lamennais et Lacordaire, enflamma et passionna le petit clergé. Les évêques s’émurent. Leur situation les faisait plus proches du budget et du pouvoir que de la masse des fidèles. Ils n’avaient d’autre part aucune vocation pour l’apostolat et ses risques matériels et pécuniaires. Ces jeunes gens en parlaient bien à leur aise lorsqu’ils proposaient de dénoncer le Concordat et de faire vivre l’Église libérée de l’État par la générosité des croyants !

Les évêques se joignirent donc au gouvernement pour demander à Rome d’arrêter ces audacieux, qui voulaient libérer l’Église et n’allaient pas moins qu’à la démocratiser. L’encyclique Mirari vos condamna les « erreurs » de Lamennais et de ses amis. Ceux-ci se soumirent et Lamennais, ayant refusé de s’incliner, alla seul vers le schisme et vers la démocratie de toute la force de sa logique et de son génie. Montalembert, à qui la mort de son père venait d’ouvrir l’entrée de la Chambre des pairs, fut traduit devant cette assemblée pour avoir ouvert une école sans autorisation. Il avait alors vingt et un ans. Interrogé sur ses nom et qualités, il se déclara