distincte et profonde de sa personnalité », un penseur solitaire, profondément original en même temps que fortement rattaché à la philosophie du XVIIIe siècle, complétée par la notion de progrès qu’y avait introduite Condorcet, groupait autour de lui quelques élèves qui allaient devenir des maîtres. Quand éclata la révolution de Juillet, Saint-Simon était mort depuis cinq ans. Ses deux élèves, Augustin Thierry et Auguste Comte, l’avaient quitté, le premier pour renouveler l’histoire et le second la philosophie. Ils avaient abandonné sa doctrine, mais ils avaient gardé sa méthode et les disciplines intellectuelles qu’ils avaient reçues de lui, chacun selon son tempérament.
C’est d’Augustin Thierry, de sa Conquête de l’Angleterre par les Normands, de ses Lettres sur l’Histoire de France, de ses Récits des temps mérovingiens que datent chez le public le goût si vif qu’il manifeste pour l’histoire, et chez les historiens le souci du document recherché aux sources, du manuscrit exhumé de la poussière des archives. En ouvrant, en 1829, son cours de philosophie positive dans un modeste appartement du faubourg Montmartre, Auguste Comte introduit la méthode historique dans l’étude des sciences, développe l’idée de Condorcet sur le concours qu’elles se prêtent dans leurs propres progrès et celle de Saint-Simon sur la nécessité de fonder les sociétés sur l’industrie et non plus sur la guerre et la conquête.
Un groupe est resté fidèle à la doctrine de Saint-Simon. Nous étudierons plus loin les développements qu’ils donnèrent à la pensée de leur maître et la propagande socialiste qu’ils firent dans toutes les classes de la société. Notons seulement pour l’instant que ce groupe réunit à l’aurore de leur vie active la plupart des hommes qui devaient dominer leur temps dans l’ordre de la pensée et de l’action. À côté d’Olinde Rodrigues, de Bazard et d’Enfantin qui devaient plus spécialement exprimer, développer et, pour ce dernier, dévier la pensée philosophique et sociale de Saint-Simon, nous devons citer : l’économiste Michel Chevalier, le champion du libre échange, qui, devenu ministre de Napoléon III, fit adopter ses vues et conclut le traité de commerce avec l’Angleterre ; d’Eichthal et Talabot, qui créèrent les chemins de fer en France ; les Pereire, qui gouvernèrent si longtemps le monde de la finance ; Lesseps, qui en perçant l’isthme de Suez, réalisa un projet saint-simonien ; Adolphe Blanqui, qui tenta de faire de l’économie politique une science humaine ; Félicien David, le grand musicien dont l’art personnel et pénétrant donna le signal de la réaction contre la tyrannie des formules italiennes ; Édouard Charton un des maîtres de l’enseignement populaire ; Hippolyte Carnot, qui vit dans la politique l’instrument de la libération sociale des travailleurs ; Buchez, l’apôtre de l’organisation ouvrière ; Jean Reynaud, le philosophe social ; Pierre Leroux, qui imprégna de socialisme les plus hauts esprits de son temps ; Constantin Pecqueur qui, le premier, fonda méthodiquement le socialisme sur la science économique ; Pierre Vinçard, le poète populaire ; Victor Fournel, Flachat, Laurent de l’Ardèche, Lemonnier etc., etc.
Citons encore, parmi ceux qui furent impressionnés par la pensée saint-simo-