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suivi l’irruption du romantisme dans la littérature et dans l’art, de même que la prise de la Bastille a mis le sceau à l’œuvre des encyclopédistes. Dès 1827, dans sa préface de Cromwell, qui est le manifeste de la nouvelle école, Victor Hugo s’écrie qu’il « serait étrange qu’à cette époque la liberté, comme la lumière, pénétrât partout, excepté dans ce qu’il y a de plus nativement libre au monde, les choses de la pensée ». Et résolu à révolutionner le domaine où pendant près d’un siècle il régnera par la puissance du génie, il lance ce cri de guerre : « Mettons le marteau dans les théories, les poétiques et les systèmes. Jetons bas ce vieux plâtrage qui masque la façade de l’art ! »

Peu avant que les barricades se dressent dans Paris insurgé contre le retour de l’absolutisme, les batailles d’Hernani, ce drame où un brigand révolté contre son roi légitime personnifie la droiture, la vaillance, les droits souverains de l’amour, peuvent être considérées comme des engagements d’avant-garde, et le poète peut légitimement inscrire ces fières et fortes paroles dans la préface de sa pièce nouvelle :

« Le romantisme, tant de fois mal défini, n’est à tout prendre, et c’est là sa définition réelle, si on ne l’envisage que sous son côté militant, que le libéralisme en littérature. Cette vérité est déjà comprise à peu près de tous les bons esprits, et le nombre en est grand ; et bientôt, car l’œuvre est déjà bien avancée, le libéralisme littéraire ne sera pas moins populaire que le libéralisme politique. La liberté dans l’art, la liberté dans la société, voici le double but auquel doivent tendre d’un même pas tous les esprits conséquents et logiques… Les ultras de tout genre, classiques ou monarchiques, auront beau se prêter secours pour refaire l’ancien régime de toutes pièces, société et littérature ; chaque progrès du pays, chaque développement des intelligences, chaque pas de la liberté fera crouler ce qu’ils auront échafaudé… À peuple nouveau, art nouveau. Tout en admirant la littérature de Louis XIV si bien adaptée à sa monarchie, elle saura bien avoir sa littérature propre et personnelle et nationale, cette France actuelle, cette France du XIXe siècle à qui Mirabeau a fait sa liberté et Napoléon sa puissance. »

Le libéralisme politique repoussa ces avances, répudia ces adhésions. Et bien que Victor Hugo eût déclaré vouloir créer un art national et se fût incliné devant le chauvinisme napoléonien de l’époque, il s’attira, dans la Tribune du 30 avril, une dédaigneuse réplique où l’auteur d’Hernani se vit contester, pour lui et sa doctrine, la qualité de libéral. « Connaissant l’attachement des jeunes Français pour notre glorieuse Révolution, dit le rédacteur de l’article, l’hypocrisie s’est emparée de ce mot magique pour les entraîner loin des doctrines qui préparaient les grands changements de notre ordre social. »

Et, dénonçant la « profonde perfidie » de Victor Hugo et des romantiques, ces cosmopolites, le rédacteur les assimile perfidement aux alliés qui venaient, quinze ans auparavant, d’envahir la France. « Le romantisme, dit-il, semble croire que les statues de Corneille, de Montesquieu, et de Racine avaient dû s’écrouler sous le canon de Waterloo. » Précisant l’accusation d’introduire l’étranger dans l’art natio-