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tants étant tous pris par la fabrique, les enfants sont allaités au biberon et « on se hâte trop de les nourrir avec de la bouillie ». Sur 916 enfants des hospices de Reims, 586, ou 64 pour cent, meurent dans la première année par l’allaitement artificiel.

Villermé constate que « l’espace et la lumière ne manquent pas, ou manquent rarement, dans les manufactures de la fabrique d’Amiens, » et que « c’est seulement chez les petits entrepreneurs de tissage que les ateliers ne sont pas toujours ni assez grands, ni assez aérés, surtout dans la ville ». Mais le travail y est, pour les enfants, plus pénible qu’ailleurs, et Villermé ne peut se résigner à taire « une cause particulière de ruine pour la santé des jeunes ouvriers dans les petites filatures qui manquent d’un moteur général. Cette cause, sur laquelle l’attention de la mairie d’Amiens a été appelée deux fois, à ma connaissance, par le conseil des prud’hommes de la ville, (la première en 1821, et la seconde, le 22 septembre 1834) consiste à faire mettre en mouvement, par des enfants, les machines à filer ou à carder, au moyen d’une manivelle à laquelle on fait décrire, avec la main, un cercle dont le point supérieur passe à cinq pieds des planches, et à exiger ainsi de ces enfants plus qu’ils ne convient à leur faiblesse et à leur taille. Je ne parlerais pas de cet abus de pouvoir des fileurs sur leurs aides, s’il n’avait été dénoncé à l’autorité municipale par le conseil des prud’hommes et si une double enquête n’était venue confirmer les assertions de ce conseil. » Les moteurs mécaniques apportèrent à ces pauvres enfants le même soulagement qu’aux détenus de Loos dont il a été parlé plus haut.

Au regard du logis ouvrier, surtout lorsqu’on y travaille, la manufacture est un séjour hygiénique. Et pourtant, sauf la lumière que l’intérêt patronal n’y mesure pas aux yeux de ses travailleurs, l’air y est confiné au point d’être irrespirable. Les ouvriers et les machines y sont entassés, et celles-ci happent fréquemment au passage un lambeau de chair prolétarienne. Les estropiés sont mis au rebut, et les employeurs n’ont qu’à les remplacer par des bras inemployés, qui ne manquent pas dans l’immense armée de réserve du travail.

Partout le travail est périlleux. La phtisie cotonneuse, ou pneumonie cotonneuse, décime les ouvriers occupés au battage du coton brut. Ici encore la machine apportera une amélioration, mais ce n’est pas une raison d’humanité qui la fera adopter par les patrons. Le cardage de la filoselle et de la soie, dans les maisons de détention, notamment celle de Nîmes, et dans les ateliers de l’industrie libre, appelle l’attention du docteur Boileau de Castelnau qui, dans des rapports répétés, proteste contre « l’extrême insalubrité » de ce travail. Les bourretaires, c’est ainsi qu’on appelle les cardeuses de la bourre, de la filoselle, des débris de cocons qui ne peuvent être dévidés, succombent, jeunes encore, aux maladies de poitrine, surtout à la phtisie pulmonaire.

Les autres opérations du travail de la soie ne sont pas moins pernicieuses. Écoutons encore Villermé : « J’ai vu à Nîmes, dit-il, dans un atelier de tirage de la soie, où il y avait quatre fourneaux ou bassines, une vieille femme bossue et trois