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d’un sixième. « C’est alors, dit l’honorable fabricant, pendant les crises commerciales, que les manufacturiers peuvent fabriquer à meilleur marché. »

Il y a eu, c’est certain, une dépression considérable des salaires à la suite de la crise qui s’est prolongée jusqu’en 1830, et, dans l’industrie textile tout au moins, on ne les a plus vus remonter aux taux qu’ils avaient atteints avant cette crise. Buret apporte sur ce point des détails intéressants :

« M. Caignard, de Rouen, dit-il, me donne les renseignements suivants sur la baisse des salaires. En 1817, il a payé 1 franc l’aune pour le tissage d’une cotonnade de 18 pouces de large ; l’ouvrier pouvait faire cinq aunes par jour. Maintenant, en 1834, il ne paie plus que quarante à quarante-cinq centimes par aune pour la façon d’une étoffe de 46 pouces de largeur. La façon d’une pièce de 110 à 120 aunes ne se paie que 20 francs.

« M. Fontaine-Gris, fabricant de Troyes, déclare que, depuis 1816, les salaires ont diminué de 25 pour cent. « Cette diminution provient, dit-il, d’une plus grande habitude du travail et d’une plus grande concurrence parmi les ouvriers. » — M. Henriot, de Reims, se fait remarquer dans sa réponse par une franchise que nous regrettons de n’avoir pas toujours rencontrée chez le plus grand nombre des fabricants ses confrères. « Si nous voulons maintenir la tranquillité, dit-il, il devient urgent de ne plus diminuer le prix de la main-d’œuvre qui a varié trop souvent, « et rarement au profit de l’ouvrier. »

Pour les lullistes de Saint-Quentin, la dépression est encore plus forte. En 1823, ils pouvaient gagner jusqu’à quinze francs et même vingt francs par jour. Après la crise, les salaires sont de 1 franc 50 à 3 francs, chiffre maximum. À Rouen, dans l’industrie lainière et cotonnière, les graveurs qui gagnaient 12 francs par jour en 1825 n’en gagnent plus que 6 en 1830 ; le salaire des imprimeurs de premières mains tombe dans le même espace de temps de 10 à 3 francs ; des apprêteurs cylindreurs, de 3 à 2 francs ; des mouleurs et fondeurs, de 12 francs à huit et neuf francs. Quant aux fileurs rouennais, dont les salaires en 1825 se mouvaient entre 3 francs et 3 fr. 50, ils ne sont plus en 1830 que de 2 francs à 1 fr. 25.

Le haut salaire des mouleurs et fondeurs, qui devait finalement tomber entre cinq et six francs, s’explique, dit Villermé par le fait que « cette industrie n’a pu être naturalisée à Rouen qu’en employant des ouvriers anglais dont les salaires étaient très élevés. » Mais ajoute-t-il, « il n’y en a plus qu’un petit nombre dans les ateliers ; les ouvriers français devenus aussi habiles se paient moins cher. »

Mêmes diminutions à Lille dans les industries textiles, où le salaire des blanchisseurs de tulle tombe pour la même période de 2 francs et 2 fr. 25 à 1 fr. 75 et 1 fr. 50 ; celui des tullistes proprement dit de 10 et 12 francs à 4 et 6 francs, celui des brodeuses au crochet de 1 franc et 1 fr. 20 à 90 centimes et 1 franc. De même, les constructeurs de mécaniques à tulle voient tomber leur salaire de 8 et 10 francs à 3 et 5 francs.

C’est surtout sur les industries textiles qu’a porté la crise, puisque dans le même temps, à Lille, toujours nous verrons le salaire des fondeurs de fer monter