l’aristocratie manufacturière anglaise sera violemment renversée dans un avenir qui ne saurait être éloigné, » dit Villeneuve-Bargemont. Et il ajoute, de cet accent qui devait réjouir Marx et Engels quinze ans plus tard : « Le tour de la féodalité industrielle en France viendra ensuite. » Ni en France, ni en Angleterre, ce moment n’est encore venu. Voilà qui apprendra aux révolutionnaires : ils ont prophétisé sur la foi des prophètes réactionnaires, et l’avenir ne leur a point obéi.
Combien Villermé voyait plus juste, combien il était plus humain que ces conservateurs acharnés à résister au développement du machinisme, lorsque son enquête de 1835 montrait, dans la maison centrale de Loos, près de Lille, les prisonniers employés comme force motrice de toutes les machines d’une filature de coton. « Ces malheureux, dit-il, absolument nus de la moitié supérieure du corps, essoufflés, haletants, couverts de sueur, avaient la plupart de leurs muscles dans une agitation continuelle, ils étaient descendus au rôle de bêtes de somme ; la vue en était révoltante. Heureusement qu’une pompe à feu (c’est ainsi qu’on appelait les premières machines à vapeur), a dû mettre un terme à cette barbarie, digne des temps où, pour écraser le blé, des esclaves s’attachaient à des meules comme des bœufs à un manège. » Il est certain que pour ces misérables, victimes de la société autant que de leurs propres instincts, les moteurs à vapeur ont été un véritable bienfait.
Les machines n’ont pas attaché la femme et l’enfant à l’industrie ; ils l’étaient déjà, mais en nombre infiniment moindre et dans de moins douloureuses conditions, au moment où parurent les premiers métiers mécaniques. Mais avant les machines, c’est à domicile que les femmes et les enfants coopéraient aux industries du tissage et du filage. Cette forme du travail à domicile subsiste encore dans certaines régions et pèse lourdement sur le salaire des ouvriers enrégimentés dans les fabriques. Dès que les métiers mécaniques furent introduits dans l’industrie textile, les femmes et les enfants s’engouffrèrent par centaines et par milliers, ainsi que les hommes, dans les nouveaux établissements.
La filature mécanique ayant remplacé le rouet familial où la vieille grand’maman utilisait sans trop de fatigue le reste de ses forces à côté du métier où le chef du ménage poussait la navette, le travail cessa d’être une occupation supplémentaire pour la femme et un jeu pour l’enfant, et l’on put voir à Lyon et dans les environs, notamment dans plusieurs communes de la Loire, des enfants de cinq ans, et même plus jeunes, occupés à rattacher dans les ateliers. En général, l’âge d’admission est de six ans, sauf à Saint-Quentin, où Villermé en a vu peu au-dessous de l’âge de huit ans.
Mais ajoute-t-il, « la durée de la journée, partout où l’on peut travailler à la lumière de la lampe, est, pour les deux sexes et pour tous les âges, suivant les saisons, de quatorze à quinze heures, sur lesquelles on en consacre une ou deux aux repas et au repos, ce qui réduit le travail effectif à treize heures par jour. Mais pour beaucoup d’ouvriers, qui demeurent à une demi-lieue, ou même à une lieue et