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paradis, au regard de celles du Nord. L’agriculture y est très avancée, et l’industrie, au lieu de s’y annexer l’agriculture, en est une dépendance. Les communes sont propriétaires de prés, de forêts, dont les pauvres peuvent profiter comme les riches. L’indigence est ainsi plus rare. Il en est de même, affirme l’écrivain d’ancien régime, à peu de différence près dans les départements du centre, où les vivres sont à bas prix, les paysans dans l’aisance, ce qui assure « de l’ouvrage et des secours » aux ouvriers. Le tableau est flatté, comme nous pourrons nous en assurer plus loin, mais il est certain que Villeneuve-Bargemont a bien vu lorsqu’il a constaté que, dans l’Est et dans le Centre la classe ouvrière était, vers 1830, plus instruite et moins misérable que dans les autres parties de la France. Sauf, cependant certain cantons de l’Est, notamment à Mulhouse et dans les environs où la détresse des travailleurs ne le cède en rien à celle de leurs frères des autres régions.

L’Ouest, région essentiellement agricole, pour être moins riche que l’Est et le Centre, n’en assure pas moins des ressources constantes aux « classes indigentes ». La pêche et la navigation leur offrent des moyens de subsistance ; les vignobles occupent une infinité de bras. Si les bureaux de bienfaisance sont pauvres en général, les communes laissent les indigents exercer les droits de propriété et d’usage sur d’immenses étendues de terrains.

Si la Bretagne est appauvrie, dit l’écrivain féodal, ce n’est pas parce qu’elle est isolée des centres de civilisation, attardée aux vieilles méthodes. « Ce paupérisme, fait-il, se manifeste principalement dans les cantons où l’ancienne et riche industrie agricole et manufacturière des chanvres et des lins a disparu par l’introduction de l’industrie du coton. » Il y a là du vrai. Mais Villeneuve-Bargemont sent bien que tout le vrai n’est pas dans ce déplacement de l’activité industrielle. Et il l’avoue lorsqu’il compte, à la page suivante, 46,172 mendiants pour la seule province de Bretagne et lorsqu’il constate et déplore la « profonde ignorance » et l’« entêtement obstiné aux anciennes routines » du prolétariat breton.

Les sobres populations du Midi sont heureuses, au dire de Villeneuve-Bargemont, étant surtout vouées à l’agriculture. Les bras valides sont occupés toute l’année dans cette bienheureuse région. Les vaines pâtures permettent aux indigents l’entretien de quelques chèvres ou brebis. Ici encore un aveu :

« Il est vrai que dans les communes (des Pyrénées) les propriétaires fonciers se sont arrogé le droit d’être seuls admis au partage des pâturages parce qu’ils possèdent des masses de bestiaux capables de consommer les herbes produites par ces montagnes pastorales dont ils usurpent ainsi le monopole. Quant aux forêts, les coupes sont vendues au profit des caisses communales ; les habitants non propriétaires, et par conséquent les pauvres, sont exclus des bénéfices et demeurent frustrés des avantages de la communauté. Ces contrées présentent un plus grand nombre d’indigents, et, pendant l’hiver, si la température est rigoureuse, la misère est excessive et douloureuse dans les classes indigentes. »

Tout l’ordre social étant fondé, selon le mot de Mme de Staël, sur la patience des