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tions du maître, celui-ci ne les remplira communément que dans la mesure où il y trouverait un nouvel avantage. Le premier patron qui s’est avisé de loger ses ouvriers s’est assuré ainsi une population ouvrière stable, que sa stabilité même rendait plus docile.

Quantité de patrons de l’ancien régime, d’ailleurs, donnaient à leurs ouvriers le principal du salaire en logement et en nourriture. Les industriels anglais, tôt imités par leurs confrères français, n’eurent qu’à continuer cette pratique lors de la création des manufactures.

La seconde caractéristique du régime industriel, l’incertitude du lendemain, contribue pour beaucoup à rendre leur situation intolérable aux ouvriers, qui souffrent plus vivement des maux temporaires d’une crise qui les met en chômage, qu’ils ne souffraient de la misère endémique, palliée de mendicité, où les laissait croupir l’ancien régime. Car ces ouvriers, qui surgissent en 1830 et ne quitteront plus la scène tragique de l’histoire, ne sont pas tous fils des artisans de l’ancien régime. Le régime nouveau a appelé dans les manufactures, les usines, les mines, qui se créent sur tous les points du territoire, une masse paysanne non propriétaire ou propriétaire d’un insignifiant morceau de terre.

Si l’on veut connaître le degré réel de misère des classes populaires, il n’est pas de meilleur moyen que de consulter le coût de consommation du pain et de le comparer au salaire. Les pauvres gens, en effet, font du pain la base de leur alimentation. On peut donc considérer tout ce que leur salaire leur permettra de se procurer en sus de l’alimentation essentielle comme la mesure de leur bien-être, ou plutôt de leur mal-être.

Vauban, en 1698, fixe le salaire moyen d’une famille de quatre personnes à 108 livres par an pour les villes et à 90 livres pour les campagnes ; la dépense pour le pain (méteil) est évaluée par lui à 60 livres. L’ouvrier du temps de Louis XIV consacre donc au pain 60 pour cent de son salaire.

Arthur Young, en 1787, porte le salaire ouvrier moyen à dix-neuf sous par jour et le prix de la livre du pain à deux sous, soit pour quatre personnes huit sous par jour. À la veille de la Révolution, le rapport du prix du pain à celui du salaire est donc, de 42 à 100.

En 1791, Lavoisier établit à 585 livres 13 sous 4 deniers la dépense totale d’un ménage de cinq personnes, et à 144 francs la dépense pour le pain, soit 24 pour cent.

Le baron de Morogues, au lendemain de la révolution de juillet, évalue le gain annuel d’une famille de cinq personnes relativement aisée à 860 francs par an, pour une grande ville, et la dépense pour le pain à 296 francs, soit à 36 pour cent.

Pour une famille urbaine peu aisée, également de cinq personnes, le salaire est réduit à 760 francs, ce qui élève le pourcentage de la dépense pour le pain à 39 pour cent.

Enfin pour une famille de cinq personnes vivant à la campagne, Morogues dit