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Quand on regarde le mouvement industriel qui se développe de 1812 à 1825, on pénètre immédiatement le secret de la crise de 1827. C’est bien ce que Fourier appelle dans le même moment un engorgement, une pléthore, dont il s’agit. Les forces de production de la France sont venues s’ajouter à celles de l’Angleterre, dépassant de beaucoup les facultés de consommation. Qu’on songe que dans cette courte période l’industrie lainière passe de 35 millions de kilos de laine à 50 millions, dont huit de laines étrangères. En 1812 nos filatures produisent 10 millions de kilos de fils de coton, en 1825 elles en produisent 28 millions à des degrés supérieurs de finesse. La consommation de la houille, dans le même temps, passe d’un million de tonnes à un million et demi.

Bien que Paris produise des soieries, et ajoute à la concurrence qui en a définitivement ôté le monopole à Lyon, cette ville n’en voit pas moins sa population s’élever de cent mille habitants à cent cinquante mille en une douzaine d’années. La France exporte maintenant jusqu’en Asie des tapis imités de la Perse et de la Turquie, plus parfaits que leurs modèles, et fabrique des crêpes comme en Chine. Paris fabrique des cotons, des laines et des cachemires, et produit pour 14 millions de châles, pour 6 millions de meubles et d’orfèvrerie.

L’optique, qui prend toute sa valeur par le développement des sciences, est un des triomphes de l’industrie française : elle fournit à l’étranger les lentilles substituées aux réflecteurs pour les phares. C’est le moment où nous cessons d’être tributaires de l’étranger pour les articles d’acier : limes, râpes, alènes, faux, faucilles et scies ; nous commençons à concurrencer la Suisse dans l’horlogerie commune ; nous produisons des poteries plus fines et nous rejoignons les Anglais dans la taille des cristaux.

Les traités de 1814 et de 1815 ont enlevé à la France toute la rive gauche du Rhin et la Belgique, la privant soudainement d’une quantité d’usines et de gisements houillers et métallurgiques en pleine exploitation. Aussitôt l’activité minière se réveille sur et sous notre sol pour suffire aux besoins, et des hauts-fourneaux et des laminoires s’établissent dans la Nièvre, l’Yonne, la Moselle, la Loire. Des aciéries, des fabriques de fer blanc et de tôle surgissent dans la Nièvre, le Cher, l’Eure, le Doubs, la Côte-d’Or. Et, de cent mille quintaux de fer produits en 1814, nous passons en 1825 à cent soixante mille.

Non seulement, à cette époque, la France développe sa production, mais encore elle crée des nouvelles industries et transforme les anciennes à coups d’inventions répétées. La lithographie a démocratisé les œuvres d’art, l’industrie s’empare du procédé et l’applique sur toile, coton, laine, soie, poterie, faïence, porcelaine. Chaque jour apporte un nouveau progrès dans la teinture des fils et des tissus. Tandis que Saint-Quentin imite les linges damassés de Saxe et de Silésie, Mulhouse envoie ses imitations de cachemires et ses toiles peintes battre les produits allemands sur leur propre marché. L’industrie du papier peint progresse et s’approprie l’invention de la machine à fabriquer du papier d’une longueur indéfinie.