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que sa ruse ou sa force, ou des circonstances heureuses, ont fait émerger sent aussitôt son infirmité originelle. Mille autres sentiments et intérêts le poussent à en libérer ses enfants, qu’il veut éduqués et instruits. D’autre part, ce n’est pas en vain que l’esprit de liberté l’a effleuré au front de son aile. On ne peut affirmer l’excellence du savoir sans en éveiller le désir et l’appétit autour de soi, et l’on ne peut alors décemment se refuser au devoir de propager le savoir dans la mesure où l’intérêt personnel ne court nul risque.

Or, bien au contraire, les ouvriers dont l’esprit est éveillé par un rudiment d’instruction sont de bien meilleurs instruments de production. Ce sentiment est si net dans la bourgeoisie de la Restauration que nous avons vu le contingent scolaire, dans la région où elle domine, le nord-est, région plutôt industrielle, être relativement trois fois plus nombreux que dans la région plutôt agricole du sud-ouest, où les survivances féodales sont plus générales et plus fortes. C’est ainsi que la riche et plantureuse Touraine, le jardin de la France, ne fournit qu’un écolier sur 268 habitants, tandis que la Basse-Bretagne en a un sur 222 seulement.

À l’époque où Ch. Dupin publie ces chiffres, dans la Situation progressive des forces de la France depuis 1814, c’est-à-dire à la veille de la révolution de juillet, en 1827, l’enseignement primaire gagne par an trois cent mille élèves, l’enseignement secondaire plus de trente mille, l’enseignement supérieur plus de dix mille, et l’enseignement industriel plus de dix mille également.

Mais c’est surtout à la bourgeoisie que profite le développement intellectuel qui se manifeste dès 1815, et c’est son très grand honneur de ne pas s’être refusé ce profit. On peut même dire que ses progrès intellectuels ont été plus rapides que les autres de tout ordre. Le peuple n’est pas encore devenu le grand consommateur d’imprimés qu’il est aujourd’hui, si mal servi d’ailleurs encore dans sa soif de savoir. Et pourtant, alors que l’accroissement annuel de la population, pour la période qui va de 1814 à 1827 est d’un demi pour cent, et que le nombre de chevaux augmente d’un pour cent, et la production industrielle de quatre à quatre et demi, les publications et la presse augmentent de neuf un quart.

L’imprimerie française, dans la même période de quatorze ans, non compris les journaux, passe de 45 millions de feuilles d’impression à plus de 144 millions, doublant les écrits consacrés aux beaux-arts et à la littérature, et aussi les almanachs qui sont la consommation intellectuelle ordinaire des campagnes. Les écrits militaires, l’histoire s’élèvent au triple, la philosophie au quadruple, les sciences et la théologie presqu’au quintuple.Les écrits consacrés à la législation se multiplient par quatorze ; mais les études sociales et administratives n’augmentent que d’un quart : il faut penser que beaucoup d’ouvrages de cette dernière catégorie ont été comptés dans la précédente.

Ajoutant ainsi le savoir à son pouvoir économique croissant, la bourgeoisie devait nécessairement conquérir le pouvoir politique, sans partage avec les survivants de la féodalité. Ch. Dupin prévoit très exactement la révolution de juil-