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à imposer une législation protectrice des plus faibles, l’aristocratie française, sauf exceptions rares, se bornait à dénigrer le cruel libéralisme bourgeois, créateur de chômage et de paupérisme. Tout comme la nôtre, plus que la nôtre, l’aristocratie anglaise rançonnait par la rente du sol le travail rançonné de surcroît par le profit capitaliste. Mais elle avait su, en s’interposant entre l’ouvrier et le capitaliste, conserver une part du pouvoir politique, faire utilement contrepoids à la bourgeoisie.

En France, elle n’avait qu’un rêve : annuler la révolution de 1789 dans ses moindres conséquences. Elle s’était, ainsi, fermée totalement au monde nouveau et rendue de plus en plus incapable, non même de réaliser sa prétention totale, qui était de le ramener en arrière, mais d’en assumer une part de direction en fonction de mécanisme pondérateur et régulateur. Faute de ce contrepoids — on ne peut compter pour tel le groupe de courtisans qui vieillissaient autour du roi redevenu lui-même un émigré de l’intérieur, — la bourgeoisie perdit pied, après avoir oscillé de la boutique à la finance, et de la finance, renforcée trop tard de l’Église arrogante et de ses hobereaux boudeurs, à la boutique qui lâchait le « tigre » sur Louis-Philippe.

Celui-ci eût pu tout sauver, s’il était demeuré dès 1830 le fils de Philippe-Égalité le régicide, et si, faute de pouvoir accorder les maîtres du sol et ceux du capital dans une impossible collaboration, il s’était fortement posé en arbitre des puissances en possession et de la puissance en devenir, s’il n’avait pas été uniquement le roi d’une bourgeoisie égoïste et divisée. Un trône peut s’asseoir sur les quatre pierres massives de l’échafaud, mais non sur les pavés branlants d’une barricade, à moins qu’il ne conserve comme périlleux gardiens ceux qui l’ont édifiée. Les barricadiers de 1830, ayant amené leurs fils, aperçurent qu’il manquait quelques pierres à leur ouvrage. Il les posèrent. Cela décala le trône, qui culbuta sous les regards ébahis de ceux qui avaient cru le consolider.

Eugène Fourniêre.