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l’éclairait pas. Il « protestait avec vivacité, nous dit M. Thureau-Dangin, qu’aucune promesse n’avait été apportée à la tribune par son ministre ». Il faut bien pourtant que Guizot ait reconnu la nécessité de faire quelques concessions, puisque les Débats, où pas une ligne ne paraissait sans sa permission, déclaraient que la réforme s’accomplirait et qu’elle était décidée en principe.

Tandis que le journal de Guizot exprimait ainsi la pensée du ministre, Louis-Philippe disait à son entourage : « Il n’y aura pas de réforme, je n’en veux pas. Si la Chambre des députés la vote, j’ai la Chambre des pairs pour la rejeter. Et quand bien même la Chambre des pairs l’adopterait, mon veto est là. » Et Montalivet, qui venait de lire les Débats et félicitait le roi d’avoir permis à Guizot de faire « un premier pas dans la voie des concessions » ; était « vertement rabroué » par son maitre, nous apprend M. Thureau-Dangin.

Le roi était-il si ferme en son dessein de ne pas céder ? Sans doute puisqu’à certains moments il envisageait l’éventualité de son abdication. Mais ce n’est pas à son fils, désigné par les Chambres pour occuper la régence, qu’il songeait alors. Il eût voulu que le roi des Belges acceptât d’être régent. Il s’en ouvrit à celui-ci, qui sans doute posa des conditions inacceptables. « Eh bien dit-il alors à son neveu, le duc régnant de Saxe-Cobourg, que le bon vieux monsieur mange sa soupe lui-même. »

L’entourage du « bon vieux monsieur » le pressait de se séparer de Guizot. Car Guizot était accusé par les amis du roi, dont il faisait la politique personnelle de rendre le roi impopulaire. Et Guizot acceptait la situation qui lui valait une telle avanie, et si injuste. C’était à croire que Guizot et le roi s’étaient juré un pacte de mutuelle servitude. Disait-on à Louis-Philippe que partout on demandait des réformes, il répliquait qu’il savait le contraire. Montalivet lui parlait-il du mécontentement croissant de la garde nationale dont il était colonel de la légion à cheval, il paraissait un instant ébranlé, puis se renfonçait dans son entêtement.

L’opposition se devait de répondre à l’interdiction du banquet prononcée par le ministre de l’Intérieur. Le soir même du vote de la Chambre, les députés s’étaient donné rendez-vous pour le lendemain à midi, au restaurant Durand, place de la Madeleine. D’un commun accord, les jurisconsultes avaient déclaré au comité des électeurs que l’interprétation de la loi de 1790 donnée par le comte Duchâtel était abusive. Puisqu’on avait le droit pour soi, allait-on reculer. Toute la question était là.

À la réunion du restaurant Durand, présidée par Odilon Barrot, Marie et Chambolle proposèrent une démission en masse des cent députés de l’opposition. Lamartine, Duvergier de Hauranne se prononcèrent contre ce moyen et déclarèrent qu’il fallait organiser quand même le banquet. L’assemblée se prononça pour le banquet et la note envoyée aux journaux pour annoncer cette décision porta qu’elle « avait été prise sans préjudice des appels que, sous d’autres formes,