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pourrait les rembourser, ces deux cents millions portant la dette flottante aux environs du milliard : exactement à neuf cent cinquante millions.

Tocqueville porte l’attaque sur l’immoralité organique du régime. Il s’empare de l’élection Richemond de Brus, qu’on vient de valider, et du scandale Petit, qu’on vient d’absoudre. Il apporte à ces emmurés, sourds aux rumeurs du dehors, l’écho des huées du faubourg Saint-Antoine. Il s’agit bien d’émeutes que la force militaire peut réprimer, leur dit-il. Et il leur montre que la révolte est dans les consciences, la révolution dans les esprits.

Pâle et la tête renversée, sans un tressaillement, ne vivant que par les yeux, qui montrent plus de fureur que de honte, Guizot écoute ce premier son du tocsin révolutionnaire. Pas plus qu’à Tocqueville, il ne répond à Billault, qui dresse le bilan du désastre moral sous lequel tout croule. Il ne sort de son immobilité que pour défendre, de la manière que nous avons vue au chapitre précédent, sa politique d’alliance docile avec Metternich, la politique de réaction internationale du vieux roi entêté.

Cette discussion est passionnément suivie par les chancelleries. Palmerston fait des vœux ardents pour le renversement de Guizot, tandis que Metternich ne se tient pas de dire : « S’il tombe, nous sommes tous perdus ! » C’est bien, en effet, le combat du libéralisme et de l’absolutisme qui se livre au Palais-Bourbon, non pour la France, mais pour l’Europe entière.

Duvergier de Hauranne est venu justifier la campagne des banquets, à laquelle le discours du trône a fait allusion en récriminant contre les « passions ennemies et aveugles ». Il disculpe ses amis de toute hostilité aux institutions de la monarchie de Juillet, montre que c’est le pouvoir qui a renoncé à ces institutions pour s’appuyer, lui, sur « les passions cupides et basses ». Quant aux passions ennemies, le pouvoir les déchaîne en donnant le signal de l’illégalité, en s’avisant subitement d’interdire le banquet du douzième arrondissement.

À ce discours, Duchâtel répliqua en déclarant que le gouvernement, fort de la loi de 1790, non abrogée, maintenait l’interdiction du banquet du 19 janvier. « Le gouvernement ne cédera pas », dit-il. En vain Odilon Barrot le rappela aux principes de 1830. En vain, de leur côté, un certain nombre de ministériels, tentèrent une conciliation par un amendement à l’adresse. Guizot refusa hautainement, et il accusa l’auteur de l’amendement de trahison. Mais avant le vote de cet amendement, qui invitait le cabinet à prendre « l’initiative des réformes sages et modérées », et parmi elles la réforme parlementaire, il avait prononcé quelques paroles que les ministériels irréductibles de l’entourage du roi voulurent interpréter comme une promesse aux espérances des réformistes.

Guizot avait-il promis quelque chose ? Il avait seulement répondu à Sallandrouze. auteur de l’amendement, que le ministère n’accepterait les réformes que le jour où le parti conservateur les accepterait tout entier. Il n’en fallut cependant point davantage pour irriter le roi. La majorité ministérielle, réduite à trente-trois voix, dans une Chambre composée par moitié de fonctionnaires, ne