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avaient immédiatement ouvert une souscription pour défendre leur chef devant les tribunaux.

Le départ eut lieu au Havre le 3 février. Soixante-neuf Icariens, conduits par Gouhenant, s’embarquaient sur le navire Rome, et, après avoir reçu les dernières recommandations de Cabet, s’en allaient chercher de l’autre côté de l’Océan la liberté qui semblait morte en France. Moins de trois semaines après, elle ressuscitait et leur donnait le regret d’avoir douté d’elle.

Ces incidents passèrent inaperçus dans la grande agitation politique du moment. La session parlementaire s’était ouverte dans les premiers jours de janvier et Odilon Barrot avait aussitôt dénoncé comme un symptôme de la décomposition du gouvernement le scandale soulevé par le mémoire d’un nommé Petit et dans lequel il était établi que la recette particulière de Corbeil lui serait donnée s’il pouvait mettre à la disposition du ministère, par la démission du titulaire, une charge de conseiller à la Cour des comptes. Petit avait payé, puis, pris de scrupule, il démissionna en dénonçant le trafic auquel il avait été mêlé !

Guizot couvrit encore de son manteau de probité personnelle cette prévarication. Il parut s’étonner qu’on fît tant d’affaires pour un « petit fait », et accusa l’opposition de perdre le temps de la Chambre. La majorité fut de l’avis de Guizot. Elle n’avait pas, en effet, à s’émouvoir d’un si petit fait, après tant de gros scandales. En vain Dupin l’avait-il avertie par sa défection. En vain il venait de donner à ce petit fait toute son importance, en déposant une proposition de loi sur la vénalité des charges et des offices. Les deux cents fonctionnaires de Guizot partageaient son aveuglement. On passa donc à la discussion de l’adresse après avoir validé les pouvoirs d’un député soumis à la réélection, à raison de sa nomination au poste de médecin inspecteur des eaux de Néris. Ce député-fonctionnaire avait été réélu grâce à la pression officielle la plus éhontée. Il n’en était que plus digne de siéger dans une telle assemblée.

Dans la discussion de l’adresse, rédigée par la commission avec une platitude exemplaire, Thiers vint sonner le glas du déficit. Il apporta la protestation des intérêts contre la politique financière du gouvernement ; ceux de la boutique aussi bien que ceux de la finance s’alarmaient d’une situation qui conduisait aux catastrophes publiques par des malaises particuliers. Les capitalistes ont épuisé et surmené l’État et son crédit, ils se tournent maintenant contre lui. Enfermé dans sa forteresse de fonctionnaires, il s’est fié aux recettes croissantes du budget, et au lieu d’en profiter pour amortir la dette, il l’a augmentée. Le public de l’épargne s’est jeté sur les valeurs de l’État, qu’il sait de tout repos, et a dédaigné celles des entreprises privées. Et voici que les actions des chemins de fer sont tombées de neuf cents francs à cinq cents.

Garnier-Pagès, alors, sème l’alarme dans ce public si confiant, lui dénonce l’emprunt de deux cents millions fait par l’État aux caisses d’épargne, si bien que dans un moment de crise qui amènerait les déposants aux guichets, il ne