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Cependant, on l’abandonnait. Pour la libérer dans l’avenir en exposant à ses yeux éblouis le bonheur qu’elle avait refusé, et qu’elle se donnerait sur l’exemple des Icariens quand ceux-ci auraient fait leur preuve. « Restez en France ! » avait crié naguère Proudhon aux fouriéristes, à l’imitation desquels Cabet tentait son essai de communauté sur les terres vierges des États-Unis. Cabet ne comprenait pas plus que Considérant, même moins encore, que la transformation sociale n’est pas œuvre artificielle qui s’impose à la raison les foules par un exemple extérieur et triomphant, mais le résultat naturel du mouvement des choses éclairé par les intelligences, secondé par les volontés.

Il avait donc passé l’année à organiser son entreprise, pour laquelle les communistes pacifiques se passionnèrent aussitôt. Owen l’avait encouragé, lui avait donné des documents et des avis, l’avait mis en relation avec ceux qui, en Amérique, pouvaient lui être utiles. Les communistes allemands de Londres, sur qui la forte pensée de Marx commençait à exercer son action, déconseillaient dans leur journal ce moyen puéril de résoudre la question sociale, tout en reconnaissant le « service immense » que Cabet avait rendu aux prolétaires « par ses avertissements contre les conspirations comme aussi par son Voyage en Icarie ».

Plein de son idée, fort de l’enthousiasme qu’elle avait suscité parmi la plupart des communistes, Cabet avait répliqué à cet avertissement amical et invoqué les motifs qui lui donnaient la certitude d’être dans la bonne voie. Comment ne l’eût-il pas cru ? Les lettres d’adhésion lui arrivaient chaque jour de tous les points de la France, d’un certain nombre de villes de l’étranger. Pouvait-il résister à ce mouvement de fraternité universelle que sa voix avait soulevé ?

Le lieu choisi pour l’expérience communiste se trouvait dans la partie nord-ouest du Texas, le long de la rivière Rouge. En septembre, Cabet prépara le « contrat social » ou acte de la Société pour la communauté d’Icarie et dressa son plan financier. Le 10 octobre, cent cinquante Icariens réunis dans le bureau du Populaire adoptaient le projet à l’unanimité et le Populaire publiait les noms par ordre alphabétique. Il fut décidé qu’une avant-garde partirait dans les derniers jours de mars 1848 et que le premier grand départ se ferait dans les derniers jours de septembre.

Une commission partit immédiatement pour explorer les lieux et choisir l’endroit du premier établissement et, à la fin de décembre, Cabet passait à Londres un traité assurant à l’association la possession d’un territoire d’un million d’acres en bonnes terres pour le premier établissement. Une petite avant-garde devait partir au plus tôt, acquérir le bétail et organiser les premiers travaux d’installation.

Tels furent les faits qui servirent de base au procès intenté à Cabet, et que l’accusation dut abandonner, les plaignants, des Icariens dissidents, ayant eu honte du rôle qu’on voulait leur faire jouer. Le 7 janvier, Cabet était remis en liberté et s’occupait immédiatement d’organiser le départ de la première avant-garde. À la nouvelle de son arrestation, les actionnaires du Populaire