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qui durèrent dix jours. Désormais le socialisme international avait sa charte, son programme et son cri de ralliement.

Mais le prolétariat français, même dans ses éléments communistes révolutionnaires que réorganisait alors Blanqui, ne devait entendre et retenir ce cri que quelques années plus tard et n’adopter le programme qu’après la fondation de l’Internationale, où la pensée de Proudhon domina d’abord les esprits. Quant à Blanqui et à ses amis, ils devaient rester réfractaires à l’idée d’organisation des travailleurs en parti de classe soit sur le terrain international, soit sur le terrain national. Ce fut cependant leur tactique, à la fois démocratique et révolutionnaire, qui inspira Marx et Engels.

Par cet exposé, on voit que l’agitation pour la réforme ne comptait en fait de socialistes que ceux qui s’étaient ralliés aux théories de Louis Blanc, mais demeuraient confondus dans les rangs de la fraction républicaine d’avant-garde. En même temps que par leurs divisions personnelles et doctrinales, les socialistes se trouvaient donc hors d’état, non seulement d’agir dans le mouvement révolutionnaire qui se dessinait, mais encore d’orienter la démocratie vers le socialisme au moment décisif de la victoire. Le socialisme, faute de préparation théorique, faute de culture des masses ouvrières, allait être évincé de la victoire démocratique, comme en 1830 les républicains, et pour les mêmes raisons, l’avaient été de la victoire du libéralisme.

Le gouvernement de Guizot, pendant l’agitation réformiste, ne songeait qu’à durer. Il sentait néanmoins la nécessité, puisqu’il voulait durer sans réformer, de prendre appui sur les éléments les plus conservateurs du pays : les cléricaux. Ceux-ci, aux élections de 1846, avaient manœuvré de manière à se faire craindre du pouvoir. Aux avances que Guizot leur faisait, Montalembert répondait d’une manière peu encourageante, et constatait que les néo-catholiques, les ultramontains, avaient vu « le premier ministre revenir sur ses pas pour leur tendre la main et que les plus ardents de leurs ennemis se taisaient prudemment et sollicitaient leurs voix. »

Le protestant Gasparin et le spécialiste phalanstérien Considérant s’étant prononcés pour la liberté d’enseignement, le comité clérical les avait soutenus. Les élections de 1846 avaient été un triomphe pour le parti clérical, qui fit élire cent quarante-six de ses candidats. Parmi eux se trouvait le comte de Falloux, qui prit vite une situation prépondérante. Guizot allait être forcé de faire à ce parti d’autres avantages que ceux qu’il lui avait laissé prendre.

Ces avantages n’étaient pas minces. Mais pouvaient-ils contenter l’Église, qui se considère comme frustrée du moment qu’elle ne tient pas tout ? D’autre part c’était à l’abandon et à la tolérance du pouvoir autant qu’à l’activité de ses partisans qu’elle devait ces avantages. Il lui tardait de les grossir et de consolider le tout par un statut légal qui la mit à l’abri de toute reprise. Elle se considérait comme si peu satisfaite, qu’elle continuait de crier à la persécution au moment même de sa plus vigoureuse offensive ; et l’on avait vu,