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humides, les miens sans pain, sans espoir d’en avoir, sans feu, sans argent pour payer le loyer, prêts à être jetés à la porte pour de là tomber dans la prison ? »

Bientôt ce furent les radicaux qui prirent la tête du mouvement. Ils eurent leurs banquets dans un grand nombre de villes, où les « petits réformistes » de la coalition des gauches étaient pris à partie par Ledru-Rollin, Étienne Arago, Louis Blanc, tandis que Garnier-Pagès et Odilon Barrot continuaient leur campagne.

Les socialistes ne prirent pas une part directe à l’agitation pour la réforme. La Démocratie pacifique s’expliqua, pour le compte des fouriéristes, par une série d’articles sur les banquets. Pour Considérant et ses amis, seule la réforme sociale importait. Ils avaient leurs banquets, eux aussi. Pour celui du 25 mars 1846, ils avaient affirmé en ces termes leur caractère distinct dans le prospectus de convocation :

« Ce banquet est une occasion de rapprochement pour les partisans chaque jour plus nombreux des Réformes sociales pacifiques, pour tous ceux qui sympathisent avec les travaux et les efforts dont le bien de l’humanité est l’objet. » Et pour bien accentuer leur éloignement de toute action politique, ils ajoutaient : « Toutes les opinions y sont admises ; mais nos toasts, arrêtés d’avance, ne s’écartent pas de ce caractère de neutralité qui accompagne toujours la science. »

Cependant, Considérant, le chef de la doctrine, fut candidat à Montargis aux élections générales de cette année-là, et 102 voix libérales se comptèrent sur son nom. Mais il s’était présenté en son nom propre et comme professant personnellement des opinions libérales, et non en qualité de représentant du fouriérisme. Il n’empêche que s’il avait été élu, ses partisans eussent enregistré cette victoire à l’actif de la doctrine, comme ils avaient fait lorsqu’il fut nommé conseiller général de la Seine.

Quant aux communistes groupés autour de Cabet, leur journal le Populaire, de mensuel qu’il était depuis sa fondation, en 1841, devenait hebdomadaire en avril 1847. À la veille même de cette agitation qui allait aboutir à une révolution, Cabet y disait : « Nous sommes profondément convaincus que ceux qui pousseraient à la Révolution aujourd’hui attireraient sur leur tête une responsabilité terrible… L’école communiste et son organe le Populaire se donnent une autre mission, celle d’instruire et de moraliser, de former l’opinion publique, et de réformer par la raison plutôt que de révolutionner par la violence. » Et le mois suivant il proposait la fondation d’une colonie communiste en Amérique.

D’ailleurs, communistes pacifiques ou révolutionnaires étaient tenus à l’écart de cette campagne des banquets par leur situation de prolétaires, puisque seuls y prenaient part les électeurs censitaires. Il est vrai que, dans les leurs, les radicaux appelaient les citoyens de la veille et ceux du lendemain, ceux qui l’étaient selon le droit comme ceux qui l’étaient selon la loi. Mais sauf des individualités