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Le scandale était immense. Le coupable étant un ami de Thiers, Guizot hésitait d’autant moins à le sacrifier. Un conseil réunit les ministres le soir même de la publication des lettres. On savait que le ministère serait interpellé dès le lendemain à l’ouverture de la séance. Les ministériels avaient toute la journée assailli le président du Conseil, l’avaient pressé de livrer le général à la justice. Dans le Conseil, Louis-Philippe opina pour le silence et l’immobilité. Mais les ministres étaient unanimes et le roi céda.

Une instruction fut donc ouverte. Elle établit d’abord que la Société des mines de Gounehans était administrée par des coquins qui avaient entraîné le général Cubières dans des démarches de corruption sur des fonctionnaires et exerçaient depuis sur lui un effronté chantage. C’est parce qu’il avait fini par résister à leurs exigences répétées que Parmentier, pour se venger, avait publié les lettres en question. Mais les défenseurs de Parmentier eurent à cœur de prouver que si leur client avait réclamé d’importantes sommes d’argent au général, c’est que le directeur des mines avait été lui-même forcé de les verser par l’entremise d’un nommé Pellapra. Celui-ci était en fuite, mais son notaire vint déclarer que les sommes avaient été versées à Teste, alors ministre des Travaux publics.

La Cour des pairs se réunit pour juger cet extraordinaire procès, où l’on voyait au banc des accusés deux pairs de France, anciens ministres, et dont l’un, Teste, était président de chambre à la Cour de cassation, accolés à un courtier d’affaires et à un entrepreneur véreux. La culpabilité de Teste apparut si évidente, que celui-ci se tira un coup de pistolet dans la tête la veille du prononcé du jugement. Ils furent condamnés. Teste à la dégradation civique, à 94.000 francs d’amende et à trois ans de prison ; Cubières, à la dégradation et à 10.000 francs d’amende ; Parmentier et Pellapra à la même peine.

Quelques jours plus tard, la Cour des pairs se réunissait de nouveau pour juger un de ses membres, le duc de Praslin, accusé d’avoir assassiné sa femme, fille du maréchal Sébastiani. Convaincu d’avoir commis ce crime, acculé aux aveux par les instances du président, Praslin s’empoisonna au cours des débats.

Partout, la décomposition morale, politique, administrative, s’étalait en plein.

Chaque jour apportait son scandale. C’était le directeur de la Manutention générale qui spéculait sur les grains avec les fonds de l’État et laissait à sa mort un déficit de 14.000 quintaux de blé dans les magasins de Paris. C’était le personnel des constructions de la Marine qui mettait au pillage les fournitures de l’État. L’incendie de l’arsenal du Mourillon à Toulon était venu opportunément, en 1845, masquer bien des dilapidations. Elles furent si éhontées dans les autres ports, à Rochefort et à Brest, que la justice fut contrainte de frapper quelques coupables, fournisseurs et fonctionnaires. Le suicide du directeur des subsistances de Rochefort vint sceller les aveux de ses complices.

Dans la Presse, Girardin établissait que le directeur du théâtre lyrique avait vu renouveler son privilège moyennant le versement de 100.000 francs dans la caisse du journal ministériel l’Époque, dirigé par Granier de Cassagnac. Le même