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celui de Gil Blas vis-à-vis de l’archevêque de Grenade, de se retirer si on ne le laissait pas maître de gouverner selon ses propres inspirations.

Louis-Philippe était intelligent, certes. Mais Guizot l’était à un degré bien supérieur. Il ne pouvait pas ne point voir que « l’âge avait eu sur Louis-Philippe un autre effet ; il augmentait chez lui, en même temps que la défiance des choses, la confiance en soi » Cette confiance en soi, que M. Thureau-Dangin a bien aperçue, ce qui fait honneur à sa probité d’historien, « menaçait de tourner en une obstination intraitable et impérieuse qui tenait de la sénilité ».

Comment Guizot n’aurait-il pas été frappé de cet état ? Et le connaissant, comment peut-on expliquer sa docilité à suivre cette politique qui s’ossifiait en même temps que le cerveau qui la dirigeait ? Dévouement à la personne du roi ? Crainte des troubles politiques ? Allons donc ! un homme tel que Guizot passant à l’opposition eût empêché le roi de trouver des ministres, eût empêché de gouverner les ministres qu’il aurait trouvés. Son excuse ne peut se trouver que dans l’isolement auquel l’avait condamné son système de gouvernement de l’État et du Parlement par les fonctionnaires. Et cette excuse, pour le doctrinaire du parlementarisme qu’il prétendait être, est une charge de plus contre lui.

Duvergier de Hauranne, avec son projet de réforme électorale, donna aux conservateurs dissidents une nouvelle occasion de s’aguerrir. Résistant aux objurgations du cabinet, ils en firent autoriser la lecture par les bureaux. L’auteur de la proposition avait au préalable fait une grande publicité : dans une brochure qui fut très lue, car elle était le manifeste d’un conservateur qu’on avait vu jusqu’au moment de la coalition se prononcer en toute occasion contre toute concession au libéralisme, il traçait le tableau de la corruption désorganisatrice, montrait le danger croissant d’une révolution et proposait l’abaissement du cens électoral, la fixation à quatre cents du nombre d’électeurs nécessaires pour former un collège et l’adjonction d’une liste de capacités différente de la seconde liste du jury.

Dans la discussion, Duchâtel se borna à prévenir la Chambre que voter une modification électorale, c’était voter la dissolution. Il est certain que lorsqu’une assemblée a décidé de se recruter par un mode nouveau, élue par un mode ancien elle se trouve pour ainsi dire périmée. Mais cet appel à l’égoïsme des députés suffit à impressionner quelques néophytes de l’opposition, encore peu aguerris. Le ministre de l’Intérieur les acheva en déclarant que si la Chambre votait la réforme, le ministère se retirerait.

Les orateurs de gauche, Odilon Barrot et Crémieux, leur rendirent un peu de courage par une vigoureuse intervention. Mais le coup était porté. L’économiste Adolphe Blanqui vint au nom de la « minorité de la majorité » adjurée par Crémieux, déclarer que ses amis avaient bien voté la lecture de prise en considération du projet, mais qu’ils voteraient contre la prise en considération. « Nous ne sommes pas, dit-il, des traîtres qui se sont introduits dans la place pour