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Celui-ci avait alors d’autres affaires sur les bras, et les soucis n’allaient pas lui manquer. Guizot n’ayant pas tenu ses promesses de Lisieux, Girardin avait exécuté ses menaces et était passé à l’opposition avec son journal. Les conservateurs progressistes cherchaient une occasion de se manifester. Guizot la leur fournit par un remaniement ministériel qui eut pour cause initiale la mort de Martin (du Nord), ministre de la Justice. Pour bien affirmer le caractère de sa politique, Guizot le remplaça par le procureur général Hébert, l’ennemi juré du libéralisme et de la presse. Il profita de l’occasion pour se débarrasser de deux incapables, Moline de Saint-Yon, qui tenait le portefeuille de la Guerre, et le baron de Mackau, celui de la Marine. Le gaspillage et le désordre étaient au comble dans les deux départements ministériels de la défense nationale ; surtout au ministère de la Marine, le scandale était à son comble. D’autre part les deux ministres, moralement affaiblis par leur mauvaise gestion, n’étaient pas capables de faire figure à la tribune. C’étaient donc des non-valeurs aussi compromettantes qu’encombrantes. Guizot les invita à démissionner ; ils obtempérèrent.

Restait un autre ministre en qui Guizot ne trouvait pas toute la docilité désirable : Lacave-Laplagne, que sa fonction faisait le bouc émissaire d’un déficit budgétaire toujours croissant. Mais le ministre des Finances poussait l’indocilité aux ordres du tout-puissant chef du cabinet jusqu’à refuser de donner sa démission. Froidement, Guizot le révoqua. Mais où trouver des candidats au ministère qui consentissent à être des chefs de bureau ? Si invraisemblable que cela paraisse, Guizot n’en trouva point dans la Chambre. Il s’adressa alors aux fonctionnaires : le général Trézel fut nommé ministre de la Guerre ; Jayr, préfet de Lyon, fut nommé aux Travaux publics en remplacement de Dumon, qui passa aux Finances, et Montebello, ambassadeur à Naples, eut la Marine.

La nomination d’Hébert au ministère de la Justice laissait vacant un poste de vice-président de la Chambre. Guizot désigna son candidat à sa majorité ; mais les dissidents unis à l’opposition élurent un partisan de la réforme électorale. Enhardis par ce premier succès, les conservateurs progressistes affrontèrent les combats de la tribune. Givré-Desmousseaux, récemment encore ministériel résolu, fit, dans la discussion des fonds secrets, le procès de l’immobilisme, accusa hautement « l’inertie du gouvernement », qui à toutes les questions répondait : « Rien, rien, rien ! »

Selon M. Thureau-Dangin, « l’immobilité qu’on reprochait à la politique du gouvernement n’était pas imputable seulement au cabinet ». Nous savons, en effet, que « le roi y avait plus de part encore », et il ne nous déplaît pas de voir l’historien bienveillant du régime avouer que « souvent c’était lui qui l’imposait à ses ministres ». Louis-Philippe « avait alors soixante-quatorze ans » et « son intelligence, bien que toujours supérieure, se ressentait du poids de l’âge ». Soit. Mais c’est avouer que Guizot, dans son amour pour les apparences d’un pouvoir qu’un autre exerçait derrière lui, n’avait pas le courage, beaucoup plus facile que