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intervention européenne. Le Sunderbund, ayant refusé de se dissoudre, fut vaincu rapidement, et la Suisse se donna une constitution fédérale plus conforme à ses véritables sentiments et aux réalités politiques et sociales du temps.

Guizot n’en avait pas moins tenté de seconder Metternich dans une tentative contre-révolutionnaire. Cet acte, ajouté à tant d’autres, acheva de ruiner la façade de libéralisme derrière laquelle le régime de Juillet tentait d’abriter son œuvre de réaction au dedans et au dehors.


CHAPITRE IX

LA DÉCOMPOSITION


Rémusat et les incompatibilités parlementaires. — Louis-Napoléon s’évade de Ham et le comte de Chambord se marie. — Les élections d’aout 1846. — La cherté des grains soulève des émeutes en province. — Imprévoyance du pouvoir. — Le procès des communistes de Tours. — Le drame de Buzançais. — Les anciens ministres Teste et Cubières condamnés pour concussion. — Autres scandales. — Tout se corrompt : la presse, agent de décomposition.


Depuis qu’il n’était plus au pouvoir, Thiers se livrait parfois à des manifestations de moralité politique qui étaient la chose la plus réjouissante du monde. On avait alors ce spectacle d’apparence paradoxale d’un pouvoir corrompu, drapé dans l’austérité huguenote et bougonne de Guizot, et d’une opposition rigoriste par nécessité, incarnée dans les sautillantes pasquinades de Thiers. Jamais le vice n’eut si grande mine, ni la vertu si mauvaise allure.

Rémusat ayant déposé, après tant d’autres, un projet sur les incompatibilités parlementaires, ce fut Thiers qui vint à la tribune exprimer le sentiment public. Il déclara sans rire, et sans faire rire, qu’après avoir plusieurs fois participé aux affaires publiques, il se trouvait encore pris de dégoût, et même d’indignation, devant certaines choses. Et invoquant « l’équité naturelle », il s’écria : « Je vois de vieux employés qui ont travaillé toute leur vie, sacrifiés à l’ambition d’un député défectionnaire. »

Le comte Duchatel défendit les députés-fonctionnaires. Et au vote, les députés-fonctionnaires défendirent le ministère et les fonctions qu’ils tenaient de lui. Leur cause était tellement gagnée d’avance, dans une majorité où ils étaient en majorité, que Guizot ne s’était pas même donné la peine de monter à la tribune.

Quelques jours après, le 25 mars 1846, Louis-Napoléon s’évadait de la prison de Ham. déguisé en ouvrier. Dans le même moment, le comte de Chambord se mariait. Les faits et gestes de ces prétendants n’occupaient guère l’opinion. Non plus que l’attentat de Lecomte, un garde-chasse révoqué, contre Louis-Philippe,