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Le mouvement polonais, qui devait avoir Cracovie pour centre de ralliement, fut en même temps paralysé par l’occupation de cette ville, où les troupes des trois puissances entrèrent le 18 février 1846. L’insurrection polonaise était vaincue, noyée dans le sang, avant même d’avoir pris les armes. Ce fut une boucherie, une Saint-Barthélemy de patriotes, non la répression d’un mouvement insurrectionnel. Les puissances profitèrent de l’événement pour supprimer le semblant d’autonomie qu’en 1841 elles avaient restitué à la ville de Cracovie, et elle fut annexée à l’Autriche. L’empereur Ferdinand témoigna sa satisfaction au chef des assassins, en lui décernant une médaille d’or « portant l’inscription de bene meretis et suspendue à un grand ruban ».

Interpellé à la Chambre le 13 mars, Guizot avait répondu à La Rochejacquelein qu’il ne pouvait croire que l’Autriche eût recouru à un tel crime pour éviter une insurrection. « Les révolutionnaires font de ces choses-là, avait-il dit de son ton rogue et méprisant ; les gouvernements réguliers ne sauraient se les permettre. » Mais un tel langage ne fut plus possible lorsque, dans la séance du 2 juillet, Montalembert vint faire le récit des atrocités sans nom dont la Galicie avait donné le spectacle. Guizot, alors, déclara que ces faits relevaient de l’opinion européenne et non du Parlement français.

Les mariages espagnols ayant mis au comble la mésintelligence entre la France et l’Angleterre, les puissances du Nord se soucièrent fort peu de l’opinion européenne. Le moment était passé où Palmerston pouvait prononcer à la Chambre des Communes cette parole menaçante : « Si le traité de Vienne n’est pas bon sur la Vistule, il doit être également mauvais sur le Rhin et sur le Pô. » Les trois puissances s’entendirent donc pour annexer Cracovie et son territoire à l’Autriche. La France et l’Angleterre protestèrent séparément par des notes platoniques, et le fait demeura acquis : le faible débris de la Pologne indépendante, devenu d’ailleurs une souricière où pouvaient opérer à coup sûr les polices des trois puissances, disparut de la carte d’Europe. Il n’y eut somme toute, qu’une illusion, un mensonge de moins.

Metternich sut gré à Louis-Philippe de s’être mis dans l’impossibilité d’agir pour le maintien de la république de Cracovie, car il avait dans ce moment-là quelques embarras dont le moindre ne fut pas l’élection, en juillet 1846, du cardinal Mastai au trône pontifical, où il succéda à Grégoire XVI, sous le nom de Pie IX. Le nouveau pape passait en effet pour un libéral, et son avènement avait soulevé les acclamations de tous les ennemis de l’absolutisme. Ses premiers actes administratifs n’avaient pas déçu les espérances de l’opinion : il avait inauguré son règne par une amnistie politique et donné des encouragements aux réformateurs.

Sa popularité devint immense. On l’acclamait dès qu’il paraissait, la foule lui criait : « Courage, Saint-Père ! fiez-vous à votre peuple ». Entraîné par cette sympathie à laquelle il était fort sensible, il promettait des réformes constitutionnelles, et les acclamations redoublaient, portant au loin son renom de pape libéral.