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pagne : en tête de la liste il inscrivait le nom de Léopold de Saxe-Cobourg. C’était déchirer ouvertement les engagements pris par son prédécesseur avec Louis-Philippe.

Or, dans le même moment, celui-ci réprimandait et désavouait Bresson son ambassadeur à Madrid, qui avait repris l’avantage sur Bulwer auprès de l’ex-régente et réglé un double mariage simultané des deux princesses avec don François d’Assise et le duc de Montpensier. Mais puisque le ministère anglais n’observait plus lui-même les conventions faites, Guizot estima que Louis-Philippe n’était plus engagé à rien. Il décida en conséquence Louis-Philippe à soutenir la combinaison Bresson, non sans peine, car le roi s’inquiétait fort de l’opinion des puissances et tenait quand même à ne pas répondre aux mauvais procédés anglais par des procédés semblables, et le double mariage simultané fut annoncé officiellement.

Cette annonce jeta le cabinet de Saint-James et sa presse dans une exaspération indicible. Bresson fut accusé d’avoir grisé les deux reines et l’infante dans une orgie nocturne afin d’arracher leur consentement. Point n’était besoin de cette explication. Un souper joyeux scella probablement ce pacte, mais ne fut pas à coup sûr le piège où Marie-Christine, au dire des Anglais, se serait fait prendre, elle et ses filles. Il avait suffi à Bresson de pénétrer l’ex-régente de cette vérité élémentaire que, l’influence anglaise établie en Espagne par le mariage avec un Cobourg, c’était à brève échéance le retour d’Espartero.

Palmerston, qui n’avait pas tenu les engagements pris par son prédécesseur, n’en eut pas moins le front de rappeler à Guizot les promesses de Louis-Philippe. Guizot, au lieu de rappeler à son collègue anglais que tout contrat suppose réciprocité, tergiversa, promit que les mariages ne se feraient pas simultanément, sembla s’en tenir aux premières déclarations du roi à lord Aberdeen, puis déclara que la reine se marierait bien la première, mais que sa sœur épouserait Montpensier immédiatement après, et sans attendre que le trône d’Espagne eût un héritier. On sent dans ces hésitations la main de Louis-Philippe, qui tenait la bride très court, nous le savons, à ses ministres des affaires étrangères.

Les deux mariages furent célébrés le 10 octobre, dans la même chapelle. Palmeston, alors, dénonça dans une note aux chancelleries le mariage du duc de Montpensier comme une violation du traité d’Utrecht et manœuvra pour faire entrer les cours du Nord dans ses sentiments. Mais celles-ci avaient bien autre chose à faire que de se jeter directement dans cette querelle. Enchantées au contraire d’un événement qui ruinait l’entente cordiale, elles pouvaient désormais donner elles-mêmes une entorse, dans le sens absolutiste, aux traités de 1815 sans crainte d’être gênées par l’accord des deux grandes nations libérales.

Car tel fut le fruit unique et fâcheux du succès remporté par Guizot et Louis-Philippe dans cette comédie des mariages espagnols. Palmerston, qui n’avait pas besoin de motifs d’animosité contre la France, s’en fit un grief et une arme. De son côté, la reine Victoria se plaignit hautement de la duplicité de Louis-Philippe,