Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/541

Cette page a été validée par deux contributeurs.

industrielle soit développée, ni où, en même temps, la masse s’immobilise dans la servitude ».

C’est dire s’il prend en pitié, dans le tableau politique et économique qu’il trace de l’Espagne, la caricature de libéralisme dont s’affublent les compétitions des partis. « Certes, il est bon, dit-il, que l’Espagne ait ses Cortès, son statut réal, ses élections » ; mais tout cela ne sera que comédie si l’on ne donne à ce régime politique une réalité par « d’activés, de fécondes entreprises matérielles, une organisation générale du travail, une action prodigieuse et persistante sur un sol négligé, redevenu inculte ou infertile et déjà envahi par les influences délétères d’une demi-barbarie. » Après trois quarts de siècle, si l’on en excepte la Catalogne et les régions industrielles du Nord, ces paroles du vieux socialiste si longtemps méconnu sont encore de la plus éclatante vérité, et chacun des événements qui agitent ce malheureux pays, en proie aux grands seigneurs terriens et au clergé, nous en apporte une nouvelle confirmation.

Tandis que, dans le grand palais désert, Espartero tentait de maintenir Isabelle sous sa domination, la reine-mère, réfugiée à Paris, multipliait les exhortations et les encouragements à ses partisans demeurés en Espagne. Les mécontents que faisait Espartero, les chefs militaires jaloux de sa grandeur, les officiers de la garde royale licenciés en grande partie, se joignaient aux christinos en des conciliabules qui aboutirent à une prise d’armes. L’un d’eux, O’Donnel s’empara de la citadelle de Pampelune, et bientôt toute l’Espagne du Nord fut en armes. Espartero envoya des troupes, qui se joignirent aux révoltés.

Les partisans de l’ex-régente Marie-Christine, dans le même moment, tentaient d’enlever la jeune reine et sa sœur, avec la complicité d’une partie de la garde du palais. Mais les soldats fidèles à Espartero tinrent bon. Une bataille sanglante s’engagea dans les corridors, au seuil même de la chambre où, tremblantes, les deux jeunes filles s’étaient réfugiées. La victoire resta au régent, et les princesses entre ses mains. Il reprit l’avantage sur O’Donnel et supprima ce qui restait des fueros en assimilant les provinces basques au reste de l’Espagne, sous une constitution politique unitaire.

Ce fut un échec pour Louis-Philippe, qui avait soutenu de son mieux, sans se compromettre, sans mettre aucun de ses agents en avant, la tentative de Marie-Christine. Espartero était dès lors le maître absolu de l’Espagne. Sa victoire sur O’Donnel avait confirmé le titre de duc de la Victoire que lui avait donné la régente avant qu’il la jetât à l’exil. Il prononça la dissolution des Cortès, mais les élections tournèrent contre son gré. La nouvelle majorité, se faisant l’écho du sentiment public, voulait qu’il se débarrassât de deux généraux réprouvés pour leur cruauté : Linage et Zurbano. Soit par fidélité envers ses compagnons d’armes, soit par crainte de les voir susciter contre lui un mouvement militaire, Espartero s’obstina à les garder auprès de lui.

Les députés s’obstinèrent, mirent en minorité le ministère qu’il constitua, conspuèrent l’un des ministres qui était allé s’asseoir à son banc de la Chambre