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asseoir la domination de l’Angleterre sur l’Espagne comme sur le Portugal. Robert Peel s’y employa de son mieux.

Mais avant de raconter la double intrigue qui se noua autour des mariages espagnols, il nous faut reprendre les événements au moment où un soulèvement militaire plaça Espartero au pouvoir. Pour mettre fin aux intrigues de cour, ce général avait exilé la régente Marie-Christine, mère de la jeune veine Isabelle. Espartero n’avait rien d’un libéral, que l’étiquette. Il était simplement le plus audacieux et le plus heureux des chefs militaires qui disputaient le pouvoir aux chefs de l’aristocratie sous la faible et incohérente régence d’une femme.

Un vote des Cortès donna la régence à Espartero en 1841. C’était la donner à l’Angleterre, dont il était le partisan déterminé. Sa politique économique, qui mettait l’Espagne dans la clientèle anglaise, pouvait être acceptée par les provinces agricoles, mais non par celles qui se vouaient à l’industrie, pour laquelle l’entrée en Espagne des produits anglais constituait une concurrence désastreuse. La Catalogne s’agita, une émeute éclata à Barcelone, où la foule brûla les marchandises anglaises. Espartero réprima cruellement cette tentative d’insurrection.

Mais à peine en avait-il fini de ce côté, que les provinces basques, à leur tour, entraient en effervescence pour le maintien de leurs privilèges séculaires, qui, sous le nom de fueros, leur constituaient une quasi-autonomie. Les bandes carlistes se reformèrent et commencèrent leurs courses déprédatrices. Nous trouvons dans une lettre qu’Edgar Quinet adresse à Michelet un tableau assez exact de la vie espagnole au milieu de toute cette agitation des années 1842 et 1843.

« Je me suis arrêté à Burgos, écrit Edgar Quinet, et c’est à cela que je dois de n’avoir pas été dévalisé. J’ai vu dans les journaux une lettre des voyageurs de ce courrier qui racontent qu’ils ont été attaqués à Lerne et remercient ces messieurs de s’être contentés de les voler. »

Quinet note encore « qu’il ne sort pas de Madrid une voiture sans être escortée. Personne ne fait attention à cela. C’est la vie ordinaire. » Dans une autre lettre, il dit à Michelet que la malle-poste qu’il va prendre a été attaquée trois fois ; au dernier coup, on a tué deux chevaux ». À part ces émotions, c’est un pays charmant, où chacun fait ce qu’il veut : « Vous ne pouvez vous figurer comme chacun vit à l’aise et tranquille, sans gouvernement, et dans une anarchie complète. »

À l’aise et tranquille, il ne l’est pourtant pas, le malheureux don Thomas Bue, dont Quinet nous raconte ainsi la fin : « Lundi dernier, dans la petite ville de Morella, au moment où la municipalité entrait dans l’église, don Thomas Perranoya, qui se dit défenseur de la religion de Jésus-Christ, saisit don Thomas Rua, secrétaire de ladite municipalité. Il l’emmena sur la Piazza Mayor où il le décolla sur-le-champ, sans lui laisser le temps de la confession. Le soir, divertissement autour du cadavre et concert, composé de deux flûtes, deux clarinettes, un cor, avec accompagnement de castagnettes, chaque exécutant à un franc (una peseta) par tête. »