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« Nous sommes un peuple qui s’ennuie », disait alors Lamartine, qui avait déposé la lyre du poète et ouvrait devant lui son admirable carrière d’orateur. Avouons qu’il était bien difficile à émouvoir et à intéresser, ou plutôt appliquons le mot de Lamartine à la détestable politique qui se faisait à une époque grande entre toutes dans l’histoire de l’esprit humain.


CHAPITRE VIII

L’EUROPE, LE LIBÉRALISME ET LES NATIONALISTES


Conclusion du traité du droit de visite. — La comédie des mariages espagnols. — L’Angleterre, furieuse d’avoir été jouée, rompt l’entente cordiale. — Jacquerie impériale en Galicie. — Chute finale de la république de Cracovie. — L’élection de Pie IX donne des espérances au libéralisme et des craintes à l’absolutisme. — Les Irlandais refusent de s’allier aux ouvriers anglais. — Le cléricalisme en Suisse : défaite du Sunderbund.


La visite de Louis-Philippe à la reine Victoria procura enfin au cabinet de Robert Peel une satisfaction à laquelle l’Angleterre tenait beaucoup. Mais elle ne la reçut pas complète. Fort des répugnances manifestées à diverses reprises par la Chambre, Guizot put obtenir de sérieuses modifications au traité du droit de visite, qui fut enfin signé le 29 mai 1845 ; sur les bases suivantes : la zone de surveillance pour la répression de la traite des esclaves était limitée à la côte occidentale d’Afrique ; la France et l’Angleterre s’engageaient à entretenir dans ces parages le même nombre de croiseurs, fixé à vingt-six pour chaque puissance ; la réciprocité du droit de visite entre les deux puissances était abolie, chacune d’elles ne pourrait visiter que les navires portant son pavillon et ceux des pays dont les gouvernements avaient conclu avec elle des traités sur le principe du droit de visite. De ce fait, les traités de 1831 et de 1833 étaient suspendus et une clause de la convention, déclarait qu’ils seraient considérés comme abrogés, s’ils n’avaient pas été formellement remis en vigueur au terme de cette convention nouvelle.

C’était une victoire pour la diplomatie française, due surtout à l’opposition parlementaire. Guizot ne l’en inscrivit pas moins à son actif. Cette victoire était d’ailleurs celle du bon sens et de l’équité. Mais le jingoïsme d’outre-Manche, qui entendait les choses autrement, fit un grief au ministère de Robert Peel de ce qu’il appelait une capitulation devant les exigences françaises. Et pour maintenir sa situation en face d’une opposition libérale qui ne lui ménageait les difficultés sur aucun terrain, le cabinet tory manœuvra en Espagne de manière à contrarier les visées de Louis-Philippe et à donner pour époux à la jeune reine Isabelle un prince de Saxe-Cobourg, Léopold, cousin du mari de la reine Victoria et frère du prince Ferdinand, qui avait épousé, en 1836, la reine de Portugal. Réussir, c’était