Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/536

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Dans le roman, c’est Balzac qui a pris son plein essor. Nous sommes au moment où la Presse, de Girardin, doit interrompre la publication en feuilleton des Paysans, devant une menace de désabonnement en masse. Il poursuit, morceau à morceau, sa géniale Comédie humaine où, en représentant le monde qui s’agite dans son puissant cerveau, il crée les exemplaires qui se modèleront sur ses Vautrin, ses Rastignac et ses Rubempré. Il aperçoit l’influence sociale de l’argent et la met au premier plan dans son œuvre. Fraternellement, il découvre, et impose à l’admiration publique le génie de Stendhal, dans la magistrale étude qui servira désormais d’introduction à la Chartreuse de Parme.

C’est George Sand, sur qui Proudhon épuise en vain son injuste sarcasme, George Sand, qui proclame les droits de l’amour en face des conventions sociales et commence, au moment où nous sommes, la série de ses romans socialistes, ouverte par Spiridion en 1840, continuée, en 1845 et 1846, par les Compagnons du Tour de France, le Meunier d’Angibault, le Péché de M. Antoine. Eugène Sue, engagé dans la voie socialiste par la lecture des ouvrages des fouriéristes et des saint-simoniens, n’en sortira plus : il prépare les Misères des enfants trouvés et les Mystères de Paris, où, à défaut de doctrine précise, se trouve une peinture si vive des inégalités sociales.

« Ne craignons pas, écrit Jules Duval, dans les Progrès de la cause sociétaire en 1845, de mentionner comme inspirées par les livres de Fourier, parce que telle est la vérité, bien qu’elles n’émanent pas de notre propre centre d’activité, des œuvres littéraires qui portent l’empreinte de notre théorie. Parmi elles brillent au premier rang le Juif errant, d’Eugène Sue. et le Diogène, de Félix Pyat. » De son côté, Enfantin écrivait à un ami : « J’ai fait lire à Sue Nouveau Christianisme, la lettre d’Eugène et la Morale ; ainsi, vous voyez que je n’oublie pas mon métier, mais que je le fais peu à peu, petit à petit. Le Juif errant sera : Aimez-vous les uns les autres. Vous voyez donc qu’il a compris sa lecture du Nouveau Christianisme. >

Dans le même moment, la science marche à pas de géant dans l’œuvre de libération générale. D’abord, ses découvertes sont tournées contre les prolétaires, dépossédés de l’instrument de travail, asservis à la machine et parfois écartés. Mais, est-ce sa faute si les abeilles scientifiques sont volées par les frelons capitalistes ? Elle n’en introduit pas moins, par la force même des choses, un élément de révolution indéfinie, et met à la portée de tous des objets dont seule une minorité jouissait auparavant. Ainsi, par exemple, de la photographie, que Daguerre vient d’améliorer et que Becquerel va encore perfectionner, tout en poursuivant ses recherches fructueuses sur l’électricité. Marsan et Bréguet utilisent la découverte de Faraday sur les phénomènes d’induction en électricité ; Ruhmkorff perfectionnera bientôt leurs appareils. Gay Lussac poursuit ses recherches parallèles en physique et en chimie. François Arago a terminé sa grande carrière scientifique et se donne à la politique, tout en continuant de diriger l’Observatoire.