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sion aux volontés de la nation, si universellement exprimées. Grégoire XVI parut impressionné par le tableau que lui fit cet ambassadeur extraordinaire de l’état des esprits en France. S’il ne paraissait pas céder, des troubles, bien autrement graves que le sac de l’archevêché en 1831, étaient à craindre.

D’ailleurs, Rossi ne demandait pas grand’chose : simplement « que les jésuites se missent dans un état qui permît au gouvernement français de ne pas les voir et qui les fit rester inaperçus, comme ils l’avaient été jusqu’à ces dernières années ». Le pape feignit de consulter la Congrégation des affaires ecclésiastiques et déclara qu’il ne pouvait donner d’ordres aux jésuites de France. Il acceptait cependant de leur faire parvenir des conseils par quelques cardinaux.

Les jésuites surent vite, étant les maîtres de l’Église, où en étaient les négociations. Le P. Rozaven écrivait de Rome au P. Ravignan, à la date du 28 juin : « Vous savez sans doute que M. Rossi a complètement échoué dans sa mission. Le secrétaire de la légation est parti, il y a quelques jours, porter à Paris l’ultimatum. » Ainsi c’était l’Église qui adressait un ultimatum au gouvernement français. Ce trait en dit long sur la comédie qui se jouait et sur l’attitude prise par Guizot. Le jésuite poursuivait ainsi son intéressante communication : « On fera peut-être courir le bruit de quelques concessions qu’aurait faites le Saint-Siège, mais n’y ajoutez pas foi. Le fin diplomate n’a rien obtenu, ni par ruse ni par intimidation. »

À Paris, cependant, le gouvernement faisait insérer au Moniteur du 6 juillet la note suivante : « Le gouvernement du roi a reçu des nouvelles de Rome. La négociation dont il avait chargé M. Rossi a atteint son but. La congrégation des jésuites cessera d’exister en France et va se disperser d’elle-même ; ses maisons seront fermées et ses noviciats dissous. » Cette note inquiéta un instant les jésuites de France. On a vu comment le P. Rozaven les mit au courant. De son côté, le cardinal Lambruschini écrivait, le 4 août, au nonce à Paris :

« Quant à l’étendue des mesures à prendre, jamais il n’a été question, pour les jésuites, de perdre ou d’aliéner leurs propriétés, de fermer leurs maisons et de ne plus exister en France ; et, comme, après la lecture de la note ministérielle, je réclamais auprès de M. Rossi, celui-ci déclara nettement qu’il ne l’avait point écrite. Des personnes qui se croient bien informées affirment aussi que M. Rossi a fait savoir indirectement au R. P. Général des jésuites qu’il ne fallait pas entendre les paroles au pied de la lettre. Votre Excellence pourra dire, aux jésuites, sous forme de conseil, de s’en tenir à ce que leur P. Général leur prescrira de faire ; ils ne sont nullement obligés d’outrepasser les instructions de leur supérieur. »

On voit, d’après ces textes, combien M. Debidour, qui les reproduit dans son Histoire des rapports de l’Église et de l’État, a raison de dire que la note du 6 juillet était « un impudent mensonge ». Sur quarante-sept établissements que possédaient les jésuites en France, ils en fermèrent cinq : les trois maisons professes de Paris, de Lyon et d’Avignon, et les deux noviciats de Saint-Acheul et