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n’eussent aucune existence légale. Le voleur se vengea en publiant un livre où étaient dévoilés les mystères de la comptabilité de l’ordre, par quels moyens il s’enrichissait, et quelle était son organisation intérieure.

Proudhon croit avoir aperçu qu’à Lyon tout ou moins, à mesure que le pouvoir tournait à la religiosité, le peuple abandonnait le catholicisme, l’incroyance de la bourgeoisie libérale gagnant le peuple : « Il existe déjà une multitude de ménages qui ont rompu toutes relations avec l’Église, écrit-il en août 1844 ; on ne baptise plus les enfants ; on ne marie plus ecclésiastiquement, plus de premières communions, plus d’enterrements ; des hommes de lettres, des médecins, de bons bourgeois suivent ce courant. »

Le philosophe révolutionnaire a généralisé, cela est évident, le mouvement qu’il a aperçu dans le milieu où il vivait. Il n’en demeure pas moins certain qu’alors que la bourgeoisie distinguait entre le cléricalisme et la religion, rejetant celui-là et gardant celle-ci, les travailleurs qui se passionnaient pour la lutte contre le jésuitisme rejetaient à la fois l’un et l’autre. Mais ceux-là n’étaient pas la majorité, et beaucoup même faisaient comme les bourgeois, se faisaient dans le catholicisme une religion dont ils prenaient et dont ils laissaient, suspectaient et combattaient le prêtre, mais le supportaient aux moments décisifs de la vie, par habitude autant que par un reste de foi.

L’audace des jésuites était telle, et tel le haro public sur eux, qu’en mars 1845, Cousin, à la Chambre des pairs, demandait au gouvernement s’il allait enfin se décider à exécuter les lois, Martin (du Nord) s’était dérobé à cette question directe, que Thiers reprit à la Chambre, où, le 2 mai, il interpella le gouvernement sur la question que nul ne pouvait plus éluder. Les cléricaux eux-mêmes, sûrs de leur force, recherchaient la bataille ; ils y eussent poussé le gouvernement par quelque éclat s’il ne l’avait pas acceptée. Ils donnèrent de toutes leurs forces : Carné cria à la persécution et proclama la « faiblesse » de l’Église en face de ses persécuteurs. Plus crâne, Berryer avoua la puissance des jésuites, fit de leur existence de fait la base de leur droit, se réclama de la liberté. Toucher aux jésuites, c’était attenter à la liberté de l’Église, telle fut la thèse des orateurs catholiques.

Dupin et Thiers s’attachèrent à démontrer que la religion était une chose, et le jésuitisme ou le cléricalisme une autre. Le ministre des cultes eut une attitude embarrassée qui ne satisfit ni les uns ni les autres, et il dut laisser adopter l’ordre du jour déposé par Thiers, l’invitant en ces termes à supprimer la société fameuse : « La Chambre, se reposant sur le gouvernement du soin de faire exécuter les lois de l’État, passe à l’ordre du jour. »

Comment Louis-Philippe, qui disait bien haut sa résolution de ne pas « risquer sa couronne pour les jésuites, » allait-il se tirer de là ? On ne pouvait plus, comme au temps où l’Église était gallicane, nationale, séculière, frapper les jésuites sans la trouver en face de soi, sans l’atteindre elle-même.

Le comte Rossi fut chargé de négocier avec le pape un semblant de soumis-