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Copenhague, qui avaient, nous dit M. Thureau-Dangin, « l’un comme député, l’autre comme pair, pris hautement parti pour l’opposition ». Comme ministre des affaires étrangères, il fit bien ; mais pourquoi admettait-il ses subordonnés dans le Parlement, sinon pour fausser le peu qu’il y avait de représentation nationale dans les élus de la bourgoisie ?

La santé de Villemain ne s’étant pas rétablie, on l’avait remplacé au ministère de l’instruction publique par Salvandy, qui n’était pas, lui, un adversaire des congrégations. Aussi entreprirent-elles de ne pas s’en tenir aux avantages obtenus par le maintien du statu-quo, en tout cas de les utiliser dans la mesure du possible et de l’impossible. Au premier rang, et menant toute l’Église au combat, était la société de Jésus. « Nous sommes tous jésuites, » disait un évêque, et il disait vrai.

Le temps n’était plus où la puissance des jésuites était niée par ceux qui y participaient et la servaient, où l’évêque de Chartres en parlait comme d’un « fantôme disparu depuis treize ans ». Voici ce qu’il disait d’eux en 1843 : « C’est un petit nombre d’hommes retirés du monde et dont on veut faire croire que la main toute-puissante y remue tout par des ressorts invisibles : Quelle misérable comédie ! Que sont aujourd’hui les jésuites ? Où sont leurs biens ? Où est leur fortune ? Ont-ils donc en leur pouvoir quelqu’un de ces moyens qui, par la nature des choses, mettent seuls en état d’agir sur la disposition générale des esprits et sur la marche des affaires humaines ? Nous déclarons ici, hautement, que cette supposition n’est qu’une fable ridicule, une fiction grossière et sans ombre de réalité. »

Deux ans avaient suffi pour changer le ton des champions de l’Église. Ils avouaient les jésuites, leur nombre, leur puissance, non parce que, pressés par l’évidence, ils ne pouvaient continuer de mentir, mais parce que, sûrs du triomphe, ils pouvaient en hâter le moment en déployant la bannière du Gesù sous laquelle ils étaient tous rangés. Mais c’est toujours la victoire qui les a perdus. C’est dans les temps où ils se plaignent, où ils se disent persécutés, et où en effet l’État s’oppose sérieusement à leurs empiétements, qu’ils utilisent les ressorts d’opposition et de sentiment et accroissent leurs forces et leur nombre. Un pouvoir complice leur donne-t-il la sécurité de l’aveu public et l’espérance d’une conquête définitive : le péril qu’ils sont apparaît à tous les yeux, et la société entière se dresse contre eux et les ramène par contrainte à l’humilité chrétienne.

En vain le garde des sceaux avait demandé à Montalembert, qui l’interpellait hautainement aux Pairs, de parler moins haut et de ne pas attiser le feu. Ivres de leur force déployée, les jésuites de robe courte, de robe longue, prêtres et évêques, car toute l’Église était à eux, taillaient et tranchaient, censuraient avec insolence, bravaient les lois, insultaient les ministres pour obtenir d’eux non plus des complaisances, mais une soumission absolue. Le cardinal de Bonald, critiquant le livre de Dupin sur les Libertés de l’Église