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source à la coalition que l’incident Pritchard et le traité de paix avec le Maroc.

L’attaque commença au Luxembourg, conduite par Molé, qui, dans la discussion de l’adresse, reprocha au ministre des affaires étrangères son manque de doigté dans les négociations avec l’Angleterre et sa politique à outrance, même dans les faiblesses. Selon l’ancien ministre, Guizot avait compromis la cause du droit de visite, excellente en elle-même, par l’acceptation des conditions de l’Angleterre. À Taïti, la faute de Guizot avait été d’organiser un protectorat qui devait l’entraîner à l’annexion, en face du protectorat de fait des missions anglaises.

L’attaque ne portant pas sur le principe vicieux de sa politique, Guizot n’eut pas de peine à la déjouer, et à prendre tous ses avantages sur un adversaire qui ne l’incriminait qu’à cause des résultats obtenus. Il lui fut facile de répondre à son prédécesseur : « Qu’auriez-vous fait à ma place ? » et de l’embarrasser. Ayant passé à l’offensive, où il excellait, Guizot demanda à Molé comment, s’il prenait sa place, il pourrait suivre sa politique, à lui, Molé, qui était la politique de Guizot, après l’avoir renversé avec le concours d’une majorité qui n’approuverait pas cette politique.

Devant la Chambre, Guizot trouva en face de lui un antagoniste d’une autre envergure. Très habilement, Thiers établit une connexion entre les actes les plus récents du ministère : « C’est à l’affaire de Taïti, dit-il, que vous avez sacrifié nos intérêts au Maroc. » Guizot eût pu avouer, montrer que, désormais, la tranquille possession de Taïti nous était acquise, moyennant l’indemnité Pritchard et une démarche diplomatique. Il préféra nier toute connexion entre les deux affaires, déclarer qu’il avait, dans l’affaire du Maroc, accueilli les bons offices de l’Angleterre pour la conclusion de la paix, et que, pour celle de Taïti, l’indemnité versée à Pritchard n’annulait pas les motifs légitimes qu’on avait eu de l’expulser, mais se justifiait par certaines circonstances regrettables et blâmables de cette opération de police.

À Thiers succéda Dupin, qui, flairant la défaite, apportait son concours aux plus forts. D’autres encore se détachèrent de la majorité ministérielle : Saint-Marc Girardin et de Carné. Billaut adjoignit aux coalisés les forces de l’opposition. Mais, au vote, Guizot l’emporta de cinq voix. C’était une faible majorité, c’était même une minorité si l’on défalquait les députés ministres. Mais, devant le scrutin, c’était la majorité ; et d’autre part, Louis-Philippe n’entendait pas se séparer de Guizot qui, dans ces affaires, l’avait servi et soutenu selon ses intentions.

Pour apprendre à ses députés et pairs fonctionnaires leurs devoirs, et donner la mesure de leur indépendance parlementaire, et maintenir les autres dans la soumission qu’ils devaient avant tout au pouvoir, Guizot, au lendemain de ce débat, révoqua Drouyn de l’Huys, directeur au ministère des affaires étrangères, et le comte Alexis de Saint-Priest, ministre de France à