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pour le duc de Nemours, retiré en 1843, devant l’opposition presque unanime manifestée par les bureaux et la commission de l’adresse. Cette dotation se motivait par la qualité de régent éventuel donnée au jeune prince par les Chambres ; mais celles-ci estimaient qu’il serait temps de lui attribuer une part du budget lorsqu’il serait mis à même d’exercer sa fonction.

Chaque fois que Louis-Philippe demandait de l’argent pour les siens, on était sur de voir paraître une de ces brochures signées Timon, où Cormenin excellait à reprocher au roi son avidité et à rappeler à la bourgeoisie que la monarchie constitutionnelle ne devait pas coûter aussi cher que l’ancienne cour. Ces brochures avaient le succès le plus vif. Quelques unes allaient jusqu’à la quarantième édition, c’est-à-dire jusqu’à quarante mille exemplaires, car, dit Eugène de Mirecourt, « l’auteur n’a jamais consenti à ce qu’on tirât plus de mille exemplaires à la fois de ses divers ouvrages ».

Chacune de ces éditions, de la sorte, pouvait être remaniée, augmentée de considérations nouvelles fournies par l’au-jour-le-jour de la politique. Cormenin trouvait, à ces retouches et à ces additions, le plaisir le plus vif. Il les annonçait aux journaux, leur en communiquait des extraits, ce qui était « un excellent mode de publicité ». Mais, ajoute Mirecourt, d’autant plus croyable ici que, dans ses biographies, il calomnie volontiers libéraux, républicains et socialistes, « une justice à rendre à M. Cormenin, c’est que la vente de ses pamphlets fut employée par lui en œuvres de bienfaisance ».

Tout en proclamant « l’évidente justice » des demandes répétées de Louis-Philippe en faveur de ses enfants et en déplorant la « sottise méchante des objections qui y étaient faites », M. Thureau-Dangin reproche à son héros de ne pas s’être rendu compte « du péril de ces questions d’argent, surtout pour une monarchie dont l’origine révolutionnaire avait déjà diminué le prestige ». On comprend que l’historien monarchiste ne soit pas flatté d’être forcé de montrer aussi fréquemment Louis-Philippe « dans la posture d’un solliciteur éconduit. »

L’entourage de Louis-Philippe poussait de toutes ses forces Guizot à demander aux Chambres la dotation Nemours dès la rentrée. S’il l’obtenait, c’était un triomphe pour la famille royale ; s’il échouait, on était débarrassé d’un ministre dont la durée au pouvoir lassait les espérances et décourageait les ambitions de ses remplaçants en expectative, et ils étaient aussi nombreux que pressés.

Une coalition s’était formée à la cour et dans les deux Chambres, et les premiers coups devaient être portés contre Guizot dans les premières séances de la session, qui fut ouverte le 26 décembre. S’il y échappait sur la politique étrangère, il n’y échapperait pas sur la question de la dotation. Mais Louis-Philippe, désapprouvant ces manœuvres, avait aplani une partie du terrain en ne s’obstinant pas sur la demande de dotation. Il ne restait donc comme res-