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imminente d’une alliance anglo-russe. Passant par-dessus les récriminations de la presse et de l’opinion, il avait conclu avec l’Angleterre et le Maroc en toute hâte et, le 8 octobre, il rendait à Victoria la visite qu’elle lui avait faite l’année précédente au château d’Eu.

La jeune reine l’accueillit à merveille. Brillant causeur, désireux de mettre son interlocutrice en confiance, il parla avec un détachement léger et courtois des menues difficultés de leurs gouvernements respectifs. On retrouve un écho des conversations de Windsor dans le journal que la reine a rédigé. « Le roi, dit-elle, est un homme extraordinaire. Il a beaucoup parlé de nos récentes difficultés et de l’émotion excessive de la nation anglaise. Il a dit que la nation française ne désirait pas la guerre, mais que les Français aimaient à faire claquer leur fouet sans songer aux conséquences. Puis il a dit que les Français ne savaient pas être de bons négociants comme les Anglais, et qu’ils ne comprenaient pas la nécessité de la bonne foi qui donne tant de stabilité dans ce pays-ci. « La France, a-t-il ajouté, ne peut pas faire la guerre à l’Angleterre, qui est le Triton des mers ; l’Angleterre a le plus grand empire du monde. »

M. Thureau-Dangin, en les rapportant, affirme que Louis-Philippe n’a pu tenir sur son propre pays des propos que lui attribue la reine Victoria. Pourquoi donc ? L’historien de la monarchie de Juillet n’avoue-t-il pas que le roi était un causeur intempérant et que le désir de briller ou de plaire le portait parfois au-delà des limites de la sincérité et de la prudence ? N’avons-nous pas d’autre part ses lettres, les « notes verbales » qu’il dictait à ses agents diplomatiques ? Ne savons-nous pas, enfin, qu’il n’était allé à Londres en hâte que pour faire préférer à la reine Victoria et à son ministre l’alliance française à l’alliance russe ?

Qu’il ait reconnu la suprématie maritime, coloniale, commerciale de l’Angleterre, quoi d’étonnant à cela, puisqu’il visait à conserver à la France, par l’alliance anglaise, ses possessions d’outre-mer et à lui assurer une situation prépondérante sur le continent européen ? N’indiquait-il pas ainsi les conditions du partage d’influence et d’action des deux pays ? ne les opposait-il pas de son mieux, en usant de l’intimité quasi-familiale que son alliance avec le roi des Belges lui procurait auprès de la reine, aux offres que le tzar avait dû faire ? Lorsque, parlant de l’affaire de Taïti, d’ailleurs réglée au moment de sa visite à Windsor, il disait : « Je la voudrais au fond de la mer, et désirerais beaucoup en être débarrassé », il indiquait expressivement qu’un si mince objet ne pouvait être un obstacle au rapprochement des deux nations.

Louis-Philippe était, certes, mieux inspiré lorsqu’il faisait de telles démarches et se livrait à de si peu compromettants bavardages que lorsqu’il s’entêtait b obtenir des Chambres quelque avantage nouveau, dotation ou apanage, pour l’un de ses nombreux enfants. En partant pour l’Angleterre, il avait travaillé Guizot pour le décider à présenter enfin le projet de dotation d’un million