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substitué leur autorité de fait à la puissance des chefs indigènes, que l’Angleterre couvre officiellement de son pavillon la nouvelle possession, l’organise en colonie ou en protectorat, et y exerce les droits de la souveraineté. Ainsi avaient procédé Pritchard et ses compatriotes à Taïti. La France avait en quelque sorte reconnu leur droit d’antériorité, en désavouant l’amiral Dupetit-Thouars, lorsqu’il avait déposé la reine et annexé ses États à la France. Il ns dépossédait pas seulement Pomaré, mais encore les missions, avant-garde de la domination britannique, et substituait la domination française à leur protectorat de fait.

Les Français avaient beau répondre que le fait pour l’Angleterre d’avoir reconnu le protectorat français sur Taïti leur donnait le droit de transformer ce protectorat en annexion, les Anglais avaient beau jeu pour répliquer que la France elle-même, sur leurs réclamations, avait reconnu l’inexistence de ce droit et désavoué l’annexion. Or, le gouvernement français avait bien désavoué l’acte de l’amiral Dupetit-Thouars, mais Taïti n’en était pas moins demeurée annexée à la France.

Allait-on se battre pour ce que Louis-Philippe appelait « les tristes bêtises de Taïti » ? Les deux grandes nations libérales allaient-elles se disputer à coups de canon quelques îlots perdus au fond du Pacifique ? Si la France avait mis dans cette affaire la même obstination furieuse qu’y mit l’Angleterre, la guerre eût certainement éclaté. Cette exaspération anglaise n’avait pas l’incident Pritchard pour cause unique ; il n’en était même que le prétexte.

Abd-el-Kader, chassé d’Algérie par nos troupes, s’était réfugié au Maroc, y avait prêché la guerre sainte contre les Français, et le mouvement avait été si général dans ce pays fanatique, que le sultan avait dû céder et attaquer la France. Le maréchal Bugeaud avait immédiatement réuni une petite armée sur la frontière du Maroc, tandis qu’une escadre française, commandée par le prince de Joinville, prenait position devant Tanger.

Le sultan Muley-abd-er-Rhaman ayant répondu à l’ultimatum français par les échappatoires qui sont le fin du fin de la diplomatie orientale, la parole avait été laissée au canon. Tanger et Mogador avaient été successivement bombardés et, le 14 août 1844, le maréchal le maréchal Bugeaud avait mis l’armée marocaine en déroute sur les bords de l’Isly. Ces victoires portèrent au comble l’exaspération du jingoïsme britannique, qui ne pardonnait pas à la France la conquête de l’Algérie, la voyait déjà maîtresse du Maroc et en possession de commander, en face même de Gibraltar, l’entrée de la Méditerranée.

Ces craintes ne furent pas justifiées par les événements. Ni Tanger ni Mogador ne furent occupés par les marins français, et le maréchal Bugeaud s’abstint d’entrer sur le territoire marocain. Ainsi le voulut et fort sagement, le gouvernement de Louis-Philippe, qui accepta que le gouvernement anglais intervînt dans les négociations de la paix avec le Maroc. Il était impossible de donner à l’Angleterre des preuves plus décisives de notre désir de paix.