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La philosophie spiritualiste était leur bête noire. Devant leur haine de la raison, Jouffroy même, homme austère et de mœurs exemplaires, ne trouvait pas grâce, et ils insinuaient que sa philosophie autorisait implicitement « le vol, le bouleversement de la société, le parricide, les voluptés les plus infâmes ». Cependant, dans ces programmes, l’instruction morale et religieuse gardait la première place, ce qui donnait le pas à l’aumônier sur le professeur de philosophie. Mais ce n’était pas la subordination de la philosophie qu’on demandait : c’était sa disparition.

Le brevet de capacité leur semblait surtout une atteinte intolérable à ce qu’ils appelaient sans rire la liberté. La manière dont la loi composait les jurys chargés de le délivrer leur offrait cependant toute facilité, puisqu’en réalité les professeurs pouvaient n’y être représentés que par un seul membre et que d’autre part les fonctionnaires et notables qui devaient y figurer seraient dans la main du pouvoir, qui ne demandait qu’à les favoriser, et le prouvait de toutes les manières.

La surveillance et l’inspection de l’État sur les établissements libres, la juridiction des conseils académiques et du conseil de l’instruction publique, leur étaient tout aussi intolérables. Montalembert, dans la séance des pairs du 16 avril, avouait hautement le rêve d’indépendance absolue, et de domination, de l’Église enseignante, proclamait que les catholiques n’étaient « ni des imbéciles, ni des lâches », et qu’ils n’étaient pas assez « abâtardis » pour « livrer leur conscience à l’Université et tendre les mains à une légalité anti-constitutionnelle ». Toujours l’appel aux prétendues promesses de la charte bâclée sur la « liberté de l’enseignement ».

« Nous ne voulons pas être des ilotes, » osait-il dire, avouant ainsi que, pour eux, n’être pas persécuteurs, c’était être persécutés. Et il menaçait : « Nous sommes les successeurs des martyrs ; — il eût pu ajouter : et des inquisiteurs ; — et nous ne tremblerons pas devant les successeurs de Julien l’Apostat ; nous sommes les fils des croisés, et nous ne reculerons pas devant les fils de Voltaire ».

Quelques jours après, le projet Villemain étant venu en discussion au Luxembourg, Montalembert déposait un contre-projet où étaient énumérées les concessions que l’Église souveraine voulait bien faire à la société civile. Ce contre-projet demandait le droit pour tout bachelier de fonder une école secondaire, sans autre condition que celle d’un certificat de moralité : l’abolition du certificat d’études exigé des candidats au baccalauréat et qui n’était délivré qu’aux candidats qui avaient suivi les cours de rhétorique et de philosophie dans un établissement de l’État ou dans une institution où cet enseignement fût autorisé ; l’institution d’un conseil supérieur de l’enseignement libre, qui aurait qualité pour la surveillance et l’inspection des établissements de cet ordre, c’est-à-dire religieux ; enfin ce conseil partageait avec le conseil de l’instruction publique le droit de nommer les professeurs de faculté.