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de fonctionnaires créé par le Concordat pour enseigner la soumission au pouvoir, et prétendait à la direction intellectuelle de la société. Il demanda que les évêques qui faisaient campagne pour le retrait des aumôniers de l’Université, afin d’amener les familles à en retirer leurs enfants, fussent frappés avec toute la rigueur des lois, et non de l’inutile et ridicule déclaration d’abus, comme l’avaient été le cardinal de Bonald, archevêque de Lyon, et Prilly, évêque de Châlons. Il rappela que la Chambre, dans son adresse au roi, du 25 janvier, avait, sur sa proposition et celle de Troplong, demandé que le projet de loi sur l’instruction secondaire « maintînt l’autorité et l’action de l’État sur l’éducation publique ».

Guizot était fort embarrassé. Ce protestant chargé de gouverner un pays catholique croyait et sans cesse répétait que la religion était le fondement nécessaire à la morale. La religion dominante du pays étant le catholicisme, c’était donc à lui qu’il faisait appel. Déjà, en 1841, il avait obtenu de Villemain, avec l’aide du roi, et sur les sollicitations de Montalembert et du jésuite Ravignan, le retrait du projet de loi sur l’enseignement préparé par Cousin. Bien loin d’être adouci par cette concession, le parti catholique l’avait considérée comme une reculade, et prise pour un encouragement à mener campagne pour la substitution de l’Église à l’Université. Si bien que Villemain, sous peine de trahir ouvertement l’Université, dont il était le chef, et l’État, dont il était le représentant, se vit forcé, conformément à ses sentiments propres d’ailleurs, et à ceux de la Chambre nettement exprimés dans l’adresse, de déposer les projets sur les petits séminaire » et sur l’enseignement secondaire.

On avait donc ce spectacle bizarre et qui devait se reproduire fréquemment jusqu’au moment de la séparation de l’Église et de l’État, d’un gouvernement préparant d’une main des lois pour défendre la société civile contre les empiétements du clergé, et de l’autre, le comblant de faveurs et de privilèges. Tandis, que Villemain, en effet, se préparait à défendre l’État contre l’Église, ses collègues au ministère, suivant le haut exemple royal, décoraient des prêtres, donnaient des allocations aux églises, fermaient les yeux sur les congrégations qui se formaient et se multipliaient, allaient même jusqu’à leur accorder des avantages qui n’étaient dus qu’aux associations et institutions reconnues d’utilité publique par décret.

Le dépôt des projets Villemain porta l’agitation cléricale à son comble. Selon le mot de Montalembert, les catholiques devaient former un « parti », et devenir « ce qu’on appelle en langage parlementaire un embarras ». De fait, le parti était tout formé ; il avait ses cadres ecclésiastiques et laïques, sa presse, les propagandistes, qui étaient les moines, ses réunions publiques, qui étaient les assemblées des fidèles pour le culte, son budget, dont l’État faisait en grande partie les frais. La Société de Saint-Vincent-de-Paul était un organe de propagande auquel toute action officielle et publique était interdite sous