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droite pour accabler Guizot d’invectives, celle-ci l’accusant de trahison monarchique, celle-là de trahison nationale. Guizot, à la tribune, fit tête avec sa ténacité coutumière, rappela, au milieu des interruptions qui hachaient ses phrases, qu’il s’était déjà expliqué à fond sur le voyage de Gand. Tous les esprits clairvoyants, dit-il, sentaient que la tentative de Napoléon en 1815 était condamnée par l’Europe. Monarchiste et libéral, il était allé supplier Louis XVIII d’accepter des institutions libérales, seul moyen d’éviter la révolution et la république.

De fait, c’était vrai, et Guizot ne fut pas le seul libéral qui, en 1815, pensa et agit ainsi. Trahit-il l’Empire dont il était fonctionnaire ? Dans une certaine mesure, non, puisque, précisément à cause de ses menées constitutionnelles en faveur de Louis XVIII, le gouvernement des Cent-Jours l’avait révoqué du poste qu’il occupait au ministère des affaires étrangères. L’opposition n’en avait pas moins beau jeu contre lui. N’était-il pas allé, en somme, à celui que la force des choses et des baïonnettes étrangères devait rendre le maître de la France ? Il n’avait pas fait acte de fidélité au malheur, et sa démarche avait servi sa fortune politique. Il était donc mal qualifié pour professer de si haut la morale politique. Sa majorité fidèle, sa majorité de fonctionnaires et d’aspirants fonctionnaires ne lui en donna pas moins son approbation.

Elle devait le suivre avec plus de répugnance, quelques jours plus tard, dans une affaire qui faillit mettre aux prises la France et l’Angleterre et souleva dans le pays comme de l’autre côté du détroit, une longue et vive agitation. Nous avons dit dans le chapitre précédent que la France avait imposé à la reine Pomaré son protectorat sur Taïti, en 1842. Or, il y avait auprès de cette reine un Anglais, nommé Pritchard, moitié missionnaire et moitié négociant, c’est-à-dire doublement l’un et l’autre, qui, par surcroît, cumulait avec ces fonctions celle de consul d’Angleterre. Son gouvernement, il n’est pas besoin de le dire, avait vu de fort mauvais œil s’établir le protectorat de la France sur un archipel qu’il convoitait.

Pritchard s’était emparé de l’esprit de la reine Pomaré et, sous prétexte de défendre ses droits souverains, il la poussait à se dérober au protectorat français que, d’ailleurs, la force lui avait fait accepter et non sa volonté. Les choses en vinrent à un tel point que l’amiral Dupetit-Thouars, en novembre 1843, déposa la reine et proclama la souveraineté de la France sur tout l’archipel de la Société. La nouvelle en parvint dans le courant de février en Angleterre et en France.

La presse anglaise jeta feu et flammes, ameuta l’opinion. Le ministère de Robert Peel demanda immédiatement des explications à la France. Louis-Philippe insistait auprès de ses ministres pour un désaveu immédiat, formel, de la conduite de l’amiral Dupetit-Thouars. Ceux-ci hésitaient, sauf Guizot, à mécontenter aussi gravement les marins. La presse française avait pris le ton de la presse anglaise, opposant chauvinisme à jingoïsme. On put se croire revenu aux vilains jours de 1840. Deux grands peuples allaient-ils entrer en