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laissa faire, en s’appuyant malicieusement, lui conservateur, sur la tradition de libéralisme hospitalier de son pays.

Des députés, des hommes en vue du parti légitimiste, prirent part à ces pèlerinages. Chateaubriand s’y rendit et séjourna quelques jours à Londres. Après avoir manifesté à Belgrave Square, les monarchistes allaient saluer en lui la royauté de l’esprit. Parmi les députés qui prirent part aux manifestations, on vit Berryer, de Larcy, le duc de Valmy, le marquis de Preigne, Blin de Bourdon, La Rochejacquelein. Le comte de Chambord, qui avait alors vingt-quatre ans, était un jeune homme très doux, très sage et très nul. Le duc de Lévis l’avait pétri avec l’aide de la congrégation, et le tenait de près.

Les royalistes intelligents, ceux qui sentaient tout ce qu’il fallait concéder aux temps nouveaux pour rendre possible une restauration, furent stupéfaits. On avait fait de leur prince une passive marionnette aux mains des prêtres et des absolutistes. On l’avait rendu plus incapable de régner que Charles X lui-même. Ils s’emportèrent furieusement, La Rochejacquelein surtout, à qui ses services donnaient le droit de parler haut ; la camarilla des ultras répondit avec aigreur ; le bruit de ces querelles ahurissait le malheureux jeune homme, ou peut-être l’éclairait sur son incurable déchéance et le prédisposait à parer de noble entêtement dans l’absolutisme du drapeau blanc son paresseux désir de vivre loin des tracas de la vie politique et des entreprises de restauration.

Les pèlerinages de Belgrave Square n’avaient pas mis en péril le trône de Louis-Philippe, ne constituaient même pas une menace à longue échéance. Guizot n’en crut pas moins devoir insérer, dans le discours du trône qui ouvrait la session de 1844, une phrase de flétrissure pour les « coupables manifestations » auxquelles s’étaient livrés des députés, liés par leur serment à la monarchie de Juillet. Cette phrase, qui livrait les actes des députés pèlerins au jugement de la conscience publique, amena Berryer à la tribune. Il se défendit assez mollement, parla de fidélité au passé, garda la posture d’accusé que lui donnait le discours du trône.

Guizot en prit avantage pour comparer la monarchie défunte à celle qu’il représentait. Il démontra que la légitimité ne se fondait pas seulement sur l’hérédité, mais sur le consentement national et sur l’observation par le monarque du pacte passé avec la nation. Il soutint la thèse de la quasi-légitimité avec l’éclat et la force de son robuste talent. Il était au cœur de sa doctrine de monarchie libérale, sur le terrain solide d’où seule la doctrine opposée de la démocratie eût pu le déloger. Il eût donc pu se borner là et remporter un grand succès. Mais il crut devoir incriminer la moralité politique de ses adversaires de droite, et du coup gâta tout.

La Rochejacquelein se paya sur Guizot de ses déboires et de ses déceptions à Londres. Il interdit de se poser en juge de la moralité politique de l’homme qui, pendant les Cent-Jours, était allé porter au roi Louis XVIII, à Gand, l’hommage de sa foi monarchique. La gauche se joignit à l’extrême