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— Écris pour nous, nous travaillerons pour toi, dirent à Weitling les ouvriers communistes.

Et à partir de 1842, de Genève, où il s’est fixé, les brochures et les articles de journaux se multiplient sous la plume de Weitling. Des groupes se forment un peu partout, se réunissent en Fédération des Justes. Le vieux communisme évangélique des paysans révoltés du XVIe siècle se rallume dans l’âme des ouvriers allemands. Lassalle et Marx le transformeront, le préciseront, et lui donneront la puissance que nous lui voyons aujourd’hui.


CHAPITRE VI

GUIZOT ET LE CLÉRICALISME


Le comte de Chambord à Londres : Manifestations légitimistes de Belgrave Square, leur écho à la Chambre. — Guizot traité d’émigré par la droite et par la gauche. — L’annexion de Taïti soulève des difficultés entre la France et l’Angleterre. — Rothschild seconde la politique pacifique de Louis-Philippe. — Les lois sur les petits séminaires et sur l’enseignement secondaire. — Audace croissante des cléricaux : inertie et complicité du gouvernement. — Odieuses polémiques contre l’Université. — Les cours de Michelet et de Quinet au Collège de France. — L’opinion publique se soulève contre le cléricalisme.


Dans l’automne de 1843, le duc de Bordeaux, après avoir visité les cours du Nord, vint à Londres et demanda à être reçu par la reine Victoria. Louis-Philippe, averti par nos agents, fit aussitôt de cette démarche une affaire d’État. Lord Aberdeen répondit aux demandes d’explications de Guizot de manière à prouver qu’il avait sur le cœur l’échec des pourparlers récents. Si le gouvernement français exprimait formellement au cabinet de Saint-James le désir que la reine ne reçût point le prétendant, celui-ci n’irait point déjeuner à Windsor. Louis-Philippe recourut alors, comme il le faisait dans les cas épineux, aux bons offices de son gendre Léopold, qui écrivit à Londres, où sa personne était aimée et son grand bon sens apprécié, et le petit-fils de Charles X ne fut pas reçu.

Le coup aurait d’autant été plus sensible au roi que, dans le même moment, le duc de Nemours était à Londres. Recevoir le duc de Bordeaux eût été placer, devant l’opinion, ce prétendant sur un pied d’égalité avec le prince qui venait d’être investi de la régence par le Parlement français. Il n’y avait donc là de la part de Louis-Philippe, en somme, ni crainte exagérée, ni souci puéril de l’étiquette, et il sut habilement se tirer d’un mauvais pas. Il excellait d’ailleurs dans ces sortes d’opérations, où les alliances familiales se substituaient aux diplomates et à leurs agissements à double fin.