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Angleterre et avait observé la lutte de classes, fort aiguë alors, qui sous le nom de chartisme, lançait le prolétariat à l’assaut de la bourgeoisie pour la conquête des droits politiques et des réformes économiques. « Depuis 1789, disait-elle, la classe bourgeoise est constituée… En 1830, elle se choisit un roi à elle, procède à son élection sans prendre conseil du reste de la nation, et, enfin, étant de fait souveraine, elle se place à la tête des affaires… pour imposer aux vingt-cinq millions de prolétaires, ses subordonnés, ses conditions… comme agissaient les seigneurs féodaux qu’elle a renversés. — Étant propriétaire du sol, elle fait des lois en raison des denrées qu’elle a à vendre. »

« Quant à vous, prolétaires, ajoutait Flora Tristan, vous n’avez personne pour vous aider. » Puisqu’à la classe noble a succédé la classe bourgeoise, déjà beaucoup plus nombreuse et plus utile », il est de toute justice de « constituer la classe ouvrière » puisqu’elle est « la partie la plus vivace de la nation ». Qu’elle le fasse et « elle sera forte ; alors, elle pourra réclamer auprès de MM. les bourgeois et son droit au travail et l’organisation du travail, et se faire écouter ».

Flora Tristan ne proposait pas l’élimination de la bourgeoisie, mais l’association du prolétariat au pouvoir politique et social qu’elle détient seule. Elle appelait les travailleurs sans distinction de sexes, ni de doctrines politiques et religieuses, à se faire « représenter devant la nation ». Elle traçait le plan d’une Union ouvrière qui ne devait pas s’enfermer dans les limites nationales, mais procéder « au nom de l’unité universelle » et ne faire « aucune distinction entre nationaux et les ouvriers et les ouvrières appartenant à n’importe quelle nation de la terre ». En conséquence, disait-elle, « l’Union ouvrière devra établir dans les principales villes d’Angleterre, d’Allemagne, d’Italie, en un mot dans toutes les capitales de l’Europe, des comités de correspondance. »

On remarquera que Flora Tristan n’a qu’un but, organiser l’immense force ouvrière qui s’ignore. Elle ne propose pas un plan social défini, mais veut « faire connaître la légitimité de la propriété des bras », et forcer les esprits, en face de cette organisation internationale des travailleurs, à « examiner la possibilité d’organiser le travail dans l’état social actuel ». L’Internationale elle-même, vingt ans plus tard, ne devait pas non plus, dans son programme inaugural, s’annexer à une des écoles qui tendaient à la direction du prolétariat

Flora Tristan tenta d’intéresser à son grandiose projet les ouvriers, à qui elle fit de nombreuses conférences, et les écrivains les plus en vue, dont quelques-uns souscrivirent pour les frais de sa propagande, notamment Eugène Sue. Mais ce premier appel à l’organisation internationale de classe des travailleurs n’eut pas d’écho. Le second, lancé par Marx et Engels, quatre ans plus tard, ne fut pas non plus entendu sur-le-champ.

Mais déjà des tentatives se faisaient dans ce sens. Une conférence communiste avait été tenue à Londres, en 1839, à laquelle avaient pris part les réfu-