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le signer, le Pacte social, dans lequel ses disciples affirment à tort qu’il a exprimé, le premier, l’idée collectiviste. Le Pacte social demande un impôt spécial sur le privilège de propriété et quelques avantages spéciaux pour le prolétariat. Rien de plus.

Cet auteur, dit Proudhon, « pourrait bien être envoyé à Bicêtre, à supposer que les magistrats consentissent à ne le regarder que comme fou ». Qu’est-ce donc qui vaut au créateur du « socialisme rationnel » ce jugement féroce ? Sans doute sa théorie cartésienne de l’insensibilité des animaux. Sa philosophie, à laquelle ses disciples, peu nombreux, demeurent encore singulièrement attachés, est en effet déconcertante. Elle est à la fois athée et spiritualiste. L’homme seul a une âme, les animaux sont des mécanismes articulés. Entre eux et lui, il y a « coupe de la série ».

Ce ne sont pas ces théories qui le recommandent à notre attention et à notre respect. Ce n’est point sous cet aspect qu’il se présente comme un ancêtre socialiste, mais sous celui du critique impitoyable du régime capitaliste d’une part et du théoricien de la socialisation du sol d’autre part. Pour lui, le régime du moyen âge vaut mieux que celui dont les prolétaires sont actuellement les victimes. Le mal vient de ce que la propriété du sol est monopolisée. Cette monopolisation « nécessaire, par conséquent juste et rationnelle » pour le passé, ne l’est plus à présent, « où, sous peine de mort sociale, le sol doit entrer à la propriété collective ».

Car, pour Colins, la rente du sol est la source de toute exploitation. La supprimer, c’est ôter tout venin au capitalisme. Le capital étant du salaire passé » ne peut plus se grossir aux dépens du « salaire présent », du moment que la rente a disparu. La propriété mobilière devient alors accessible à tous. « Sous la concurrence rationnelle, dit Colins, chaque enfant devenu majeur, sortant des mains de la société collective, entre dans la société des individus, avec les développements de tous ses moyens, tant physiques que moraux, riche de sa part inaliénable dans la richesse collective et d’une part aliénable résultant de sa dot sociale. »

Cette doctrine sociale, à laquelle son auteur donna le nom de collectivisme, ne fit pas le moindre bruit à son apparition. En vain Colins tenta-t-il de polémiquer avec tous les écrivains connus ; les adhésions se limitaient à un cercle minuscule de fidèles. Quant aux écoles socialistes, elles ignoraient l’école de Colins, et l’on a vu de quel mot dédaigneux autant qu’injuste Proudhon l’avait salué en passant. Colins avait beau dire : « Le saint-simonisme, c’est le despotisme d’un homme ; le fouriérisme, c’est le despotisme des passions ; le communisme, c’est le despotisme de la folie. » On le laissa polémiquer dans le vide. Pourtant, il a laissé un mot : le collectivisme, dont la langue socialiste devait s’emparer vingt ou trente ans plus tard, et sa doctrine de nationalisation du sol est aujourd’hui celle d’une importante école sociale américaine. Il méritait donc mieux que le sarcasme fugitif de Proudhon et que le silence plus inju-