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le recours à la force, mais selon lui « la bonne méthode ne peut jamais être la violence qu’autant que l’enseignement, la remontrance et la persuasion l’ont vainement précédée ». C’est « alors seulement qu’il est bon, qu’il est moral et religieux de dire que l’insurrection désintéressée est le plus saint des devoirs ».

On remarque dans la critique sociale de Pecqueur une sérénité, un optimisme qui contrastent singulièrement avec le tableau que poussent passionnément au noir tous les autres novateurs. À quoi tient cette différence frappante ? Fourier, Considérant, Cabet, Louis Blanc, Proudhon, pour faire valoir l’avenir qu’ils annoncent, assombrissent d’autant le tableau du présent. Ils font ainsi, en même temps, ressortir avec plus de force la nécessité d’une transformation. Pecqueur, lui, a une notion plus scientifique des phénomènes ; il ne polémique pas contre le présent au profit de l’avenir : son analyse démontre que le présent contient l’avenir, et il indique les moyens que la société doit employer pour seconder le mouvement naturel des inévitables transformations économiques. Aussi, loin de dire, comme tous les autres socialistes, que le régime capitaliste est plus douloureux au prolétariat que l’ancienne féodalité, affirme-t-il et prouve-t-il que le salariat réalise un progrès sur le servage en même temps qu’il prépare le producteur à son émancipation intégrale.

Qu’est-ce donc qui a manqué à Pecqueur pour s’imposer au moment où il annonçait d’une manière aussi précise le devenir social fondé sur l’évolution économique ? Il lui a manqué de ramasser sa doctrine en une formule saisissante qui frappe les esprits et les décide à s’orienter. Il lui a encore et surtout manqué une méthode d’action. Il s’est égaré dans les objurgations morales aux possédants et aux gouvernants. Il a aperçu l’immense force révolutionnaire latente du prolétariat, mais il n’a pas osé la déchaîner. Il a constaté la lutte des classes et il a tenté de l’amortir par des réformes, au lieu d’armer le prolétariat de ces réformes pour en conquérir d’autres.

Il a ainsi laissé cette grande tâche à Karl Marx, mais celui-ci n’eût pu l’entreprendre si le large et philosophique déterminisme de Pecqueur n’avait préparé les esprits de l’époque et ne l’avait amené lui-même à en extraire le matérialisme historique, forme réduite et aiguë du déterminisme économique par conséquent meilleur instrument de pénétration, meilleure arme de combat.

François Vidal, qui conclut comme Pecqueur au collectivisme, c’est-à-dire à la socialisation des instruments de production et à l’attribution à chaque individu du produit de son travail, paraîtrait beaucoup plus original si Pecqueur n’avait pas existé. Dans son livre sur les Caisses d’épargne, publié en 1835, il demande que les fonds déposés dans ces caisses servent à l’État pour se constituer le banquier des associations ouvrières de production. Quelques années plus tard, en 1816, dans son ouvrage sur la Répartition des richesses, il constate avec tous les socialistes la concentration capitaliste, affirme avec eux tous le développement du paupérisme à mesure que la richesse capitaliste augmente. Aussi « pour améliorer le sort des travailleurs, dit-il aux économistes figés dans