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son aspect chétif, ne témoignaient pas en sa faveur. Mais, en dépit de l’apparence, il était doué d’une incomparable puissance de travail. Tout en donnant des leçons pour vivre, il achevait de s’instruire. Dès qu’il s’était cru suffisamment armé, il avait voulu entrer dans le combat. Armand Carrel avait fait un accueil décourageant à ce minuscule bonhomme, pâle et imberbe, qui avait plutôt l’air d’un collégien échappé que d’un militant de la cause républicaine. Sa volonté tenace, unie à un savoir réel, à une éloquence prenante et communicative, avait vaincu tous les obstacles.

Disciple de Jean-Jacques Rousseau, admirateur de Robespierre, il croyait à la toute-puissance de la loi. « Non, s’écriait-il dans la Revue du Progrès, le progrès ne s’accomplit pas peu à peu dans les institutions du peuple. S’il chemine lentement dans les intelligences, il peut faire des bonds prodigieux dans le domaine des faits, en une année, en un mois, en une nuit, « changeant les lois d’une manière complète, remplaçant, non pas une vieille conséquence par une conséquence nouvelle, mais un vieux principe par un principe nouveau, apportant dans la vie d’un peuple non pas telle ou telle réforme partielle, mais un vaste ensemble de réformes coordonnées entre elles, en un mot substituant à tout un système de législation tout un système de législation contraire ».

C’est sous l’inspiration de cette pensée maîtresse qu’il fonda son socialisme sur la toute-puissance de la loi et de l’État. En quoi se différenciait ce socialisme de celui que Buonarotti, son premier maître, avait hérité de Babeuf, et dans lequel l’État était également l’instrument nécessaire de réalisation ? En ceci, d’abord, qui apparaît dès les premières pages de l’Organisation du travail :

« Nous voulons, dit Louis Blanc, un gouvernement qui intervienne dans l’industrie, parce que là où l’on ne prête qu’aux riches, il faut un banquier social qui prête aux pauvres. » Car le régime d’inégalité des richesses a été aggravé par l’industrialisme moderne, qui tend à concentrer les capitaux dans un petit nombre de mains. La liberté de la concurrence n’est autre que le moyen pour les plus forts, les plus riches, de devenir encore plus forts, encore plus riches, en ruinant leurs concurrents moins bien outillés.

Ce régime de prétendue liberté a arraché la femme et l’enfant au foyer familial, les a jetés dans la manufacture pour y faire concurrence à l’ouvrier. Cette concurrence néfaste, que les malheureux se font pour le pain quotidien, aggrave leur misère, les livre sans merci à leurs maîtres. Celle que les maîtres se font accroît la production au-delà des besoins de la consommation, ou plutôt de la faculté d’achat des consommateurs, et des crises s’ensuivent, qui ruinent les petits industriels et intensifient le paupérisme dans la classe dépourvue de tout et qui meurt de faim lorsque le chômage sévit.

Seul un État démocratique pourra faire cesser cette contradiction cruelle et organiser le travail. De même que la critique économique de Louis Blanc