Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/484

Cette page a été validée par deux contributeurs.

réussit de cette manière qu’à en faire une « Somme » désordonnée, obscure, qui n’avança point d’un pas la question. Mais il étudiait l’économie politique. Un jeune Allemand, Karl Grün, qui venait d’écrire un ouvrage remarquable sur le mouvement social en France et en Belgique, se lia avec lui sur ces entrefaites, Karl Marx également. Tous deux entreprirent de lui enseigner la dialectique de Hegel. On verra plus loin que le terrible professeur, c’est Marx que nous voulons dire, ne fut pas content de son élève en philosophie allemande, et le lui montra un peu rudement.

Mais si les critiques et les théories de Proudhon faisaient leur trouée dans les milieux où l’on s’intéressait aux études sociales, rien n’en parvenait encore aux masses populaires, ni même aux ouvriers qui vouaient leur activité à l’amélioration du sort de leur classe. Plus heureux, Louis Blanc, dès 1840, était parvenu jusqu’à ceux-ci avec son petit livre sur l’Organisation du travail, bourré d’éloquence, de faits et de chiffres, et qui fondait la transformation sociale à opérer, sur l’achèvement de la Révolution française et les principes de Jean-Jacques Rousseau, sur la souveraineté absolue du peuple représenté par l’État tout-puissant dans le double domaine de la pensée et de l’action.


CHAPITRE V


LA FLORAISON SOCIALISTE


Louis Blanc et l’Organisation du travail. — La critique sociale de Louis Blanc et les solutions qu’il propose. — Pecqueur, socialiste économiste. — Haute valeur de son déterminisme économique. — François Vidal et ses conclusions collectivistes. — Colins et la socialisation du sol — Pierre Leroux, philosophe et moraliste. — Il inspire les romans socialistes de George Sand. — Flora Tristan tente un premier essai d’organisation internationale des travailleurs. — Robert Owen et le socialisme anglais. — Les trades unions et le chartisme. — Guillaume Weitling propage le communisme en Allemagne.


Lorsqu’il publia l’Organisation du travail, Louis Blanc était déjà connu dans le parti démocratique. Nous savons qu’il avait formé sa pensée à l’école de Buonarotti, pour lequel il professait un véritable culte. Nous l’avons vu collaborer au Bon Sens, puis à la Revue républicaine, travailler efficacement à l’union des républicains et de la gauche dynastique contre le ministère Molé dans les élections de 1837, fonder en 1839 la Revue du Progrès, prendre part à la réorganisation du Journal du Peuple, se mêler enfin à l’activité démocratique et y gagner insensiblement le premier rang.

Louis Blanc avait été formé à la rude école de la misère et du travail, ayant préféré le devoir à la hautaine pitié de parents riches. Sa petite taille,