Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/481

Cette page a été validée par deux contributeurs.

défectible vérité, quand le Hasard et la Nécessité seraient les seuls dieux que pût reconnaitre notre intelligence, il serait beau de témoigner que nous avons connaissance de notre nuit, et par le cri de notre pensée de protester contre le destin. »

Dans son mémoire sur la Célébration du dimanche, qui obtint une médaille de l’Académie de Besançon, l’orthodoxie littéraire et sociale semblait observée, mais, comme le dit expressivement Sainte-Beuve, « les armes y sont à chaque pas sous les fleurs », et Proudhon y parle de la propriété comme du « dernier des faux dieux ».

« L’expression, dit Proudhon dans ce mémoire, est générique comme l’idée même : elle proscrit non seulement le vol commis avec violence et par la ruse, l’escroquerie et le brigandage, mais encore toute espèce de gain obtenu sur les autres sans leur plein acquiescement. Elle implique, en un mot, que toute infraction à l’égalité de partage, toute prime arbitrairement demandée et tyranniquement perçue, soit dans l’échange, soit sur le travail d’autrui, est une violation de la justice commutative, est une concussion. »

La justice entre individus, égaux et libres, voilà ce que Proudhon veut, même au moment où il ignore sa voie. Cet instinct profond se précisera en pensées, en recherches, en actes, dans toute son œuvre, dans toute sa vie. Il l’exprimera par des méthodes diverses, passant de Kant à Hegel, après avoir renoncé à l’emploi de la série de Fourier, et par des solutions contradictoires, invoquant, écartant puis réinstallant l’État régulateur de l’organisme social et gardien des contrats ; mais c’est toujours la justice dans l’égalité et par la liberté qui sera l’objet de sa poursuite acharnée.

Au mémoire sur la Célébration du dimanche, ou Proudhon se pressent, s’ajoute, en juin 1840, sa première œuvre nettement sociale : Q’est-ce que la propriété ? où il s’affirme. La boutade de Brissot : « La propriété, c’est le vol, » devient sous la plume de Proudhon un aphorisme fondamental. « Le droit de propriété, dit-il dans ce mémoire qui fonde sa réputation et le jette dans la voie révolutionnaire, le droit de propriété a été le commencement du mal sur la terre, le premier anneau de cette longue chaîne de crimes et de misères que le genre humain traîne après lui depuis sa naissance. » Voyons comment cette pensée de Jean-Jacques Rousseau se développe dans l’esprit de Proudhon.

La propriété est un fait, non un droit. Elle ne peut être un droit que par le consentement social, le contrat. Autrement elle constitue un privilège et, « sous prétexte de produit net, l’homme oisif, prenant pour lui une part de la production, enlève au travailleur l’épargne et le capital, et comme sans capital il est impossible de travailler à nouveau et de reproduire des valeurs, il s’ensuit que le producteur n’est plus qu’un instrument dans les mains du capitaliste qui lui vend ainsi son travail avant d’écouler son produit ».

Fidèle à sa devise : Destruam et aedificatio, Proudhon, en bon disciple