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l’industrie, qui ont à asseoir le monde économique nouveau, surgi des transformations de l’outillage causées par l’emploi des machines à vapeur : Louis-Philippe sera un roi pacifique : il le sera contre le gré d’une nation belliqueuse, toute frémissante encore des invasions de 1814 et 1815. La bourgeoisie ne veut point partager le pouvoir avec les classes moyennes, encore moins avec les classes populaires : Louis-Philippe sera un roi conservateur ; à tel point qu’il poussera les hauts cris lorsque ses ministres lui proposeront d’accorder les droits électoraux aux contribuables qui paient deux cents francs de contributions. Il a donc bien été, somme toute, le roi de la bourgeoisie.

Les traits les plus caractéristiques de Louis-Philippe peuvent, je crois, se résumer ainsi : son intelligence était réelle, son application au travail très soutenue, son esprit d’une grande vivacité, sa ténacité et son esprit de suite absolument remarquables. Mais ces qualités de l’esprit étaient gâtées par les défauts mêmes que chacune d’elles contient naturellement lorsque l’esprit ne se soumet point à une sévère discipline intellectuelle et morale.

Ainsi Louis-Philippe n’applique son intelligence qu’à des œuvres, en somme, négatives. Convaincu que l’on ne règne qu’en divisant, il emploie toutes les ressources de son esprit à entretenir les oppositions des partis dans le Parlement et des hommes dans les partis, afin de demeurer leur arbitre et le maître de toutes les situations. C’est à ce point que lui, qui est avant tout un conservateur, il ira jusqu’à se faire un mérite auprès des libéraux d’avoir empêché Casimir Périer de supprimer la liberté de la presse et le jury.

Il gâtait l’esprit qu’il avait par le souci permanent de briller. Causeur séduisant, il ne savait pas se taire, malgré sa duplicité naturelle. « En parlant aussi longuement, dit M. Thureau-Dangin, il s’exposait à dire ce qu’il aurait mieux fait de taire. » Préférant leur réputation à la sienne, les historiens qui lui sont le plus favorables n’ont point osé nier la duplicité qui est un des traits dominants de son caractère. Il poussait si loin le goût de l’intrigue que, non content d’opposer les uns aux autres ses ministres et les chefs des partis politiques, il allait jusqu’à se mettre d’accord avec les diplomates étrangers, notamment Metternich, pour contrecarrer son propre gouvernement et sa propre diplomatie.

De ceci, qui est très grave, Metternich en fait l’aveu dans une « communication secrète » dont voici un extrait : « Les explications confidentielles dans lesquelles le roi Louis-Philippe me permet d’entrer avec lui, la facilité que ce prince met à nous rendre compte de sa propre pensée offrent, dans une situation qui généralement est difficile, de bien grands avantages à ce que je qualifie sans hésitation de cause générale et commune. » La cause générale et commune, le nom même du véritable chef de la Sainte-Alliance la désigne, c’est la cause des rois et des aristocraties contre les peuples et leurs libertés.

L’écrivain orléaniste Duvergier de Hauranne convient qu’en effet Louis-Philippe avait si peu compris le sens véritable de la révolution de juillet qu’« il blâmait Charles X non d’avoir voulu gouverner, mais d’avoir méconnu et heurté de