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mes ! » On comprend ce point d’exclamation sous la plume du célèbre adversaire de l’émancipation féminine.

Il voit fort juste, lorsqu’il aperçoit « la propagande sourde qui se fait spontanément dans le peuple, sans chef, sans catéchisme, sans système encore bien arrêté », et ajoute : « C’est là la véritable indication politique. » Il y aperçoit une force qui se cherche, comme il se cherche lui-même, et il voudrait bien être son guide et son interprète. Il comprend que le peuple est inquiet des divergences de doctrines entre ceux qui s’offrent à l’aider dans son travail d’émancipation. Il se prépare à lui donner satisfaction, et, en attendant, dit-il, « je travaille de toutes mes forces à faire cesser les dissidences parmi nous, en même temps que je porte la discorde dans le camp ennemi ».

Et il ajoute : « Tour à tour négociateur, spéculateur, diplomate, économiste, écrivain, je provoque une centralisation de forces qui, si elle ne s’évapore en verbiage, devra tôt ou tard se manifester d’une manière formidable. » On voit mal le rude solitaire négocier et faire de la diplomatie. Mais il espère en son génie : lorsque, par son effort, « les contradictions de la communauté et de la démocratie, une fois dévoilées, seront allées rejoindre les utopies de Saint-Simon et Fourier, le socialisme, élevé à la hauteur d’une science, le socialisme, qui n’est autre que l’économie politique, s’emparera de la société et la lancera vers ses destinées ultérieures avec une force irrésistible ».

Et ce socialisme qui « n’a pas encore conscience de lui-même » et aujourd’hui encore « s’appelle communisme », qui groupe plus de cent mille parti sans, « peut-être de deux cents », c’est Proudhon qui se flatte de le formuler. On sait qu’il ne devait ajouter qu’une dissidence à celles qu’il déplorait ; il n’allait pas tarder à sortir de son rôle de négociateur, de diplomate, pour prendre celui qui convenait à son tempérament et se faire l’impitoyable et brutal analyste des doctrines communistes et phalanstériennes qui constituaient alors tout le socialisme en action et en pensée.

Les républicains combattaient les communistes dans leur doctrine, mais ils ne les mettaient pas pour cela hors de la communion démocratique. Lors du banquet communiste de 1840, les journaux ministériels s’étant réjouis de la division des démocrates, le National, tout en critiquant les systèmes édifiés les uns par « la bonne foi et le désintéressement », les autres par « le charlatanisme et l’exploitation », voyait dans ce débordement des imaginations la marque d’« une fermentation universelle qui atteste le besoin qu’a la société actuelle de sa transformation et de son progrès ».

Et, refusant de « tout condamner et flétrir sans discernement », le journal républicain affirmait en ces termes l’unité de l’action démocratique : « Si, parmi les esprits qui rêvent, il y a des cœurs qui palpitent à toutes les émotions de la patrie, si elle peut trouver là de l’abnégation pour la servir, du courage pour la défendre, pourquoi les envelopper dans un ostracisme injuste ? Le parti démocratique ne rompt pas son unité pour si peu. »